[le site de Fabienne Swiatly ]

Le métallisé des eaux profondes, le bleu glacé des torrents.

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C'est une écrivaine allemande. Elle écrit des polars qui se déroulent à Hambourg. Nous sommes invitées à la même manifestation alors avant notre rencontre, j'ai lu son livre traduit en français et je n'ai pas trouvé cela bon du tout. Une absence de rythme. Des  phrases  maladroites. Sentiment que c'est la traduction qui était mauvaise. Le soir de notre rencontre, elle vient me voir pour que je l'aide à lire un passage en français. Je constate que dans la version allemande, elle n'utilise pour les dialogues que la forme sagt er ou sagt sie (dit-il, dit-elle). Le traducteur s'est autorisé des : souffle-t-il, rétorque-t-elle, remarque-t-il etc. Un florilège de synonymes du verbe dire. Pendant la soirée, elle lira le texte en allemand, langue que je connais bien. Je constate que c'est bien meilleur que le texte en français. Je sais qu'une traduction n'est qu'une interprétation, qu'il faut adapter. Mais là le texte a été massacré. D'ailleurs, elle m'explique qu'elle n'a eu aucun échange avec le traducteur, ce qui n'a pas été le cas avec les maisons d'édition anglaise et italienne. Depuis j'ai réouvert mon livre Gagner sa vie traduit en slovène : Zasluziti si svoj kruh (gagner son pain). Et même s'il y a toujours de l'étrangeté à voir son texte dans une autre langue, une langue qui nous est totalement étrangère, je suis confiante quant au résultat car j'ai le souvenir de nos nombreux échanges et questionnements sur le comment traduire.  Ainsi l'expression très française de  brasser de l'air quand il s'agit de brasser du vent ou plutôt du concept. Bref brasser du vide. La langue qui est traversée par son histoire, ses origines et des lieux communs qu'il faut réinventer dans l'autre langue. J'ai pensé à Eric Boury, Claro ou encore Valérie Rouzeau qui savent raconter la difficulté et aussi le plaisir de la traduction. L'impossibilité parfois, alors il faut trancher tout en respectant le texte d'origine, mais certainement pas massacrer. Bien sûr, se pose aussi la question de la rémunération du traducteur ou de la traductrice, du temps donné, du respect d'un travail relativement méconnu, il me semble. Je vais bientôt lire ce polar dans sa langue d'origine. J'ai cette chance de pouvoir le faire ... et si ça me plaît, j'en ai 6 autres à découvrir. 

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Cet été, j'ai nagé à Marseille, plage du Prado, tôt le matin pour éviter le monde et les détritus qui jonchent la plage dès midi passé, mais un matin tout de même la baignade interdite, débordement des eaux sales de la station d'épuration. Nuit d'orage. Mes yeux tristes comme ceux des gamins Ukrainiens venus ce jour-là avec leurs parents. Dans l'éternité de l'enfance un jour d'été à la baignade interdite c'est un bien grand malheur. J'ai nagé dans la calanque des Anglais à la roche rouge et qu'après dix-huit heures même sur la Côte d'Azur, les plages retrouvent de la quiétude. Le soleil vous sèche sans vous dévorer la peau. Aux pieds des falaises, j'ai plongé, masque - tuba que je me suis offerts il y a quelques années. L'émotion au moment de payer car ce masque et ce tuba, je l'offrais à la petite fille que j'ai été et qui se baignait dans la ballastière d'Hagondange rêvant de bouées multicolores, coincée dans sa chambre à air de voiture, la peau rouge de frotter contre le caoutchouc, c'était trésor quand même. J'ai nagé dans la Siagne qui était délicieusement froide. Un étrange oiseau me surveillait de la rive, l’œil inquiet, pourtant ce n'était plus l'époque de couver les œufs. Un oiseau tout simplement curieux ? J'ai nagé dans le Roubion vers le lieu dit Au tournant, mais la canicule avait vidé les trous d'eau. Patauger est une grande frustration pour moi qui aime le dos crawlé, la brasse coulée et me prendre pour une baleine. J'ai nagé dans la Gervanne vers Omblèze et j'ai enlevé le haut de mon maillot comme cela ne se fait plus alors j'ai rêvé des plages allemandes de la Baltique où on se baigne nu en toute simplicité malgré les touristes polonais qui se signeraient presque devant ces corps qui se vivent sans ambiguïté. J'ai nagé dans le lac de Carouge au pied du Massif des Bauges avec vue sur Belledonne et le bonheur avait un goût d'eau ferrugineuse. J'ai nagé dans la Lône de Pontcharra, l'air était chargé en électricité et un orage a fini par éclater violemment, juste le temps de rejoindre la voiture avant la grêle. J'ai nagé dans l'étang de la Grange du pin, nuit tombante après une lecture à la Médiathèque de Val-Revermont. Seule dans l'eau, les autres occupés au barbecue, j'ai retrouvé le plaisir des pirouettes, du saut de grenouille et des battements de jambe soulevant de belles gerbes d'eau. Une vraie gamine. J'espère nager bientôt dans l'Atlantiqu, invitée que je suis à lire en différent lieux de Saint-Nazaire. Quand le froid sera de retour, je nagerai dans la piscine du Rhône ou celle de Vaise ou celle de Rennes ou encore au Carré Bleu de Bourg-en-Bresse ...  Nager. Depuis l'enfance. Besoin d'eau. Besoin de mettre ainsi en mouvement mon corps. Un livre pourrait s'écrire à partir de ce verbe. Pourrait. Nager parfois aussi en eaux troubles.

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A cause de l'orage il fait sombre dans la cuisine à même pas 17h, mais on a pas envie d'allumer la lumière. On boit un sirop de génépi, c'est tout ce que j'ai à offrir, quatre jours seulement que je suis installée dans ce nouvel appartement des quais de Saône. Mais parfois l'essentiel est d'être ensemble et de parler. Elle connait bien la poésie, les poètes, les éditeurs ... alors on finit par discuter de la place de l'écriture poétique et notre désillusion - ce n'est pas le mot juste - de notre chagrin ou  peut-être colère ? Le vent se lève, une fenêtre claque, nous n'allumons toujours pas et dans la semi-obscurité du moment je lui lis un extrait de L'écriture sans écriture de Kenneth Goldsmith que François Bon a eu la formidable idée de traduire. Je dialogue avec ce livre de puis plusieurs jours : # Face à une quantité accessible de textes sans aucun précédent, le problème n'est pas d'en écrire plus ; plutôt d'apprendre à négocier avec ce gigantesque amas existant ... # Le livre traite du langage à l'âge de numérique. Nos verres sont vides. Je raconte mon désarroi devant tous ces textes de poésie qui s'éditent - plus d'une dizaine de mails dans ce sens par semaine (et je ne reçois pas tous les avis de naissance) - qui me donne le sentiment (je publie également de la poésie) d'appartenir à un monde littéraire qui se contente de poser sa petite crotte. Qu'importe que la poésie ne se vende pas, se lise peu, s'entende peu, ne rapporte rien ou quasi à ceux qui l'écrivent. L'essentiel est de faire sa petite crotte ... Bien de ces crottes ne nous donnent ni à voir, ni à entendre de cet incroyable mutation que le numérique produit sur notre langage ou notre perception du langage. Et cet attachement au livre alors que de la pensée circule sur nombre d'autres supports. Je ne lui propose pas un autre verre de sirop de génépi, c'est vite écœurant. Alors nous parlons de ces lieux de la poésie (pas tous je sais pas tous) où les livres s'exhibent et qui nous semblent si poussiéreux et terriblement déconnectés. L'impression de participer à des enterrements plus qu'à des révolutions. Puis on se tait elle et moi et comme nous n'avons toujours pas envie d'allumer, on décide de se quitter. Après avoir débarrassé la table de ses deux verres, je regarde ma bibliothèque : nursery ou cimetière ? Sur l'ordinateur, je cherche de la musique puis j'ouvre grand la fenêtre, quelques éclairs dans le ciel très noir et c'est bon d'écouter la grande Etta James chanter  : I just want to make love to you.

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Il est tourneur sur bois et me reçoit dans l'atelier qui jouxte la maison familiale. La belle cinquantaine, des yeux bleus vifs, il me raconte l'entreprise familiale. D'abord des jeux d'échec tournés dans le buis après la première guerre mondiale à l'époque où des dizaines de tourneurs travaillaient dans le Revermont. Lui a suivi. Le fils qui reprend la suite du père, du grand-père, de l'arrière grand-père. "On travaille tout le temps". Du fatalisme dans sa voix mais pas de la dépression. Le bois il aime ça. Fini l'époque des jeux d'échec, concurrence difficile avec les pays asiatiques. Il a aussi arrêté la fabrication des cochonnets de pétanque, la plasturgie a pris le relais. Pour faire tourner la boutique : les urnes funéraires, des jeux de société et des murs d'escalade. Ses filles ne prendront pas la suite, elles se préparent à d'autres métiers. Fini aussi de tourner du buis, trop dur, pas assez rentable et de toute façon, le buis crève dans la région, attaqué par la pyrale. Un petit papillon blanc invasif. Destructeur. Il travaille du hêtre. Il se raconte et peut-être un vrai énervement dans sa voix, en me résumant une rencontre avec un conseilleur de le Chambre des métiers, à une période difficile de son parcours : " Il m'a proposé un suivi psychologique" Oui il y a de quoi s'énerver. Nommer maladie ce qui est dysfonctionnement, est une manière de se laver les mains. Celui qui n'y arrive plus est malade, on le met de côté. On n'interroge pas les dysfonctionnements de la société, du capitalisme. On stigmatise l'humain. Il ne s'est pas s'adapter.  " Si tu veux tuer ton chien, accuse-le d'avoir la rage." Je comprends mieux l'adage. On s'est quitté. Travail, engagement et précarité étaient notre territoire commun. La cour sentait bon le bois. 

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biche

Juin. Dans l'étau de l'agenda. Finir le travail des résidences. Finir le travail des ateliers. Finir les dossiers des résidences à venir. Finir les projets des ateliers à venir. Demander de l'argent. Déposer des dossiers et remplir les fiches de renseignements sur les interfaces des institutions qui ont toutes un mode opératoire différent. Rester calme. Faire. Faire dans les temps impartis, être dans les clous. Montrer patte blanche. Commencer tôt le matin. Finir tard le soir. Faire. Si tu fais, tu existes. Pas le temps de prendre du recul. Pas le temps de penser. Faire est devenu plus urgent que penser. Temps lourd et humide.  L'orage, la pluie et la grêle viennent conclure chaque fin de journée. Trois dossiers à finir en urgence et l'amie au téléphone qui te supplie de relire son programme : Faut que je boucle avant demain. Alors on lit. T'en penses quoi  ? Elle dit ensuite. Rien, je n'en pense rien, j'ai corrigé les fautes. Sur l'écran m'attend le dossier de demande de bourse à la Région Bourgogne Franche-Comté. Mes yeux piquent à ne plus quitter l'écran. Je fais. Je fais au mieux. Et dans ma tête se bousculent toutes les infos entendues à la radio. La montée de l'autoritarisme et du repli national en Italie, en Hongrie, en Pologne. Et les chômeurs qu'on va surveiller au plus près. Ces salauds de profiteurs. Et les soldats et la police dans les gares avec la mitraillette au poing. Et qu'il ne faut plus donner son ticket encore valable à la sortie du métro à ces jeunes, ces vieux et vieilles qui ne peuvent pas se payer un trajet tous les jours. Délinquante si tu donnes ton ticket encore valable à ces salauds de fraudeurs. Je fais des dossiers et je pense que la Méditerranée est grand cimetière, et j'espère qu'aux Voix Vives de Sète on entendra de la rage, de la colère et que l'on ne proposera plus des siestes et des massages pour faire passer les voix. Une mauvaise colère alors j'ai tout laissé en plan pour nager au Carré d'eau de Bourg. Pour 5 euros 10, j'ai épuisé le mauvais de ma colère dans le couloir 2 du bassin de nage. A la sortie, j'ai croisé sur le chemin qui longeait la Reyssouce un vieux monsieur édenté et souriant qui m'a dit après avoir échangé sur les orages et la grêle : C'est bien de parler à quelqu'un. Oui parfois c'est bien de parler de la pluie et du beau temps.   

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Parfois un trajet en voiture vous emmène au-delà de la route. Des voix, des musiques à la radio. Les yeux happés par les lignes d'arbres sur le bord de la route puis les éclairages d'une commune qu'on traverse sans avoir pris le temps de lire son nom. J'avance. Au poste un chanteur raconte son parcours de bad boy et qu'il faut bien s'assagir quand on devient père. La frime dans la musique urbaine qui est une fiction. Comme avec les catcheurs, croire que c'est vrai alors qu'on connait les trucages, la mise en scène. Littérature. J'écoute. Puis il évoque une de ses chansons Madame Courage, le nom d'une drogue consommée en grande quantité à Alger. Un psychotrope utilisé pour soigner la maladie de Parkinson. Mélangée à de l'alcool, elle désinhibe. Avec elle on ose... n'importe quoi. C'est la drogue des soldats et de la jeunesse oubliée d'Alger. Madame Courage aura été généreusement distribuée pendant la sale guerre dans les années 90. Sofiane, c'est le nom de l'artiste, chante et malgré la voix transformée au vocodeur (ce qui d'habitude me vrille les oreilles) il parvient, cette nuit-là, à m'émouvoir. J'entends quelque chose de la jeunesse d'une ville que je voudrais questionner dans mon prochain livre. Une ville, un pays qui ne parvient plus à s'inventer un avenir. Je pense au récent film de Sofia Djama Les Bienheureux qui nous embarque dans la capitale avec des personnages qui sans cesse s'interrogent : Quitter le pays ou rester ? Je roule, direction Saint-Nazaire. Mes paupières se font lourdes quand un chevreuil sur le bord de la route se fige dans la lumière des  phares. Je crie Ne traverse pas et klaxonne. L'animal retourne à l'obscurité et Sofiane chante : Dans une nuit gelée à faire pleurer l'été  / Plus rien à fêter, feu d'espoir éteint / mes yeux cachent un cimetière / Oublier hier pour enterrer demain.

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dombe

En résidence à la Maison du Théâtre de Jasseron dans l'Ain, je suis  amenée à prendre régulièrement la Départementale 1083  qui va de Bourg à Lyon. De jour vers Lyon, de nuit vers Jasseron. Parfois des rangées de platanes condamnés par la maladie accompagnent miraculeusement mes trajets. La route longe la Dombes. A l'heure où la disparition de nombre d'oiseaux semblent devenue une réalité à laquelle on s'habitue déjà, je suis excitée comme une enfant lorsque je vois des dizaines de cigognes piétiner dans les champs, les hérons cendrés se mêler aux grandes aigrettes et tous ces oiseaux d'eau dont j'ignore le nom égayer la surface des étangs. Je m'arrête souvent malgré le froid et la boue des chemins. Parfois des photos, pas toujours. L'autre jour, remontant dans la voiture je me suis mise à cogiter sur les chantiers en cours, les lectures à préparer, les ateliers à animer, les dossiers à finir et les sous à faire rentrer avec la peur de ne pas réussir à TOUT FAIRE. Je râlais même si la lumière était particulièrement créative. Certains jours, la brume du dedans couvre toutes les images du dehors. Je ruminais, mains sur le volant, quand la radio m'a donné à entendre un rire, celui du  peintre Gérard Fromanger. Un rire qui ponctuait ses propos sur son âge, son cœur malade, la mort à venir ou encore les rétrospectives qui ne prennent pas en compte ses derniers travaux (ses travaux de vieux) ... Un rire qui donnait  de la force, qui dissipait la brume ... Allez camarade Fabienne, me suis-je dis, arrêtez donc de vous plaindre (oui il m'arrive de me vouvoyer) tout va bien pour l'instant. Et il m'est revenu la blague du type qui tombe d'un gratte-ciel et qui à chaque étage se répète : Jusqu'ici tout va bien ! Jusqu'ici tout va bien ! Du coup j'ai ri. J'ai ri avec Fromanger, avec les oiseaux de la Dombes, avec les types qui tombent... J'ai ri à chaque étage de la vie. De ma vie. 

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chevaux

Voilà un titre étrange qui nous laisse songeur quant à son contenu avant de l'avoir ouvert : Mort d'un cheval dans les bras de sa mère. J'ai lu tous les livres de Jane Sautière et noué une grande confiance quant à sa manière de déployer sa mémoire pour nous embarquer vers des questions plus complexes et collectives. Pourtant certains résumés concernant celui-ci auraient pu soulever de la méfiance chez moi : la relation d'une écrivaine aux bêtes (aux animaux ?). Heureusement, je me doutais bien qu'il serait question d'autre chose. Un des premiers chapitres m'a donné très vite une clé de lecture. A partir des souvenirs du documentaire Le Sang des bêtes de Georges Franju tourné aux abattoirs de La Villette en 1949, Jane Sautière décrit l’abatage d'un cheval avec une telle justesse que j'ai été saisie aux tripes comme jamais, bien plus que pendant le visionnage du film. D'ailleurs j'ai pleuré, ce qui m'arrive très rarement en lisant un livre. Le magnifique cheval blanc décrit - il  pourrait  être la version âgée du Magnifique dans la Belle et la bête de Cocteau - s'effondre de toute sa hauteur, assommé par le boucher. En quelques coups de couteau il n'est plus un animal mais un morceau de viande.Quelque chose de terrible a eu lieu. J'avais vu le documentaire mais le texte m'a ébranlée bien plus violemment, moi qui pourtant mange de la viande. Moi qui m'entoure peu d'animaux sauf quelques chats qui finissent toujours par disparaitre. Alors dans quel bras m'étais-je fourrée avec ce livre ? Comme souvent avec Jane Sautière ce qui est creusé va bien au-delà de la thématique du livre comme la maternité avec Nullipare ou les vêtements avec Dressing, etc. Lu d'une traite puis relu plus tranquillement, j'ai noté sur le carnet qui accompagne les lectures qu'il était question de notre inépuisable besoin de consolation. Les bêtes meurent nous le savons. Elles meurent avant nous le plus souvent alors nous pouvons les côtoyer, les choyer, les aimer sans jamais oublier leur mortalité. Cette mortalité que nous avons du mal à regarder en face quand elle nous concerne directement. Dans les yeux des bêtes nous regardons la vie sans la dissocier de l’inéluctable qui adviendra : Notre propre mort. Les bêtes nous consolent, un peu parce que nous portons leur deuil.  Mort d'un cheval dans les bras de sa mère aux éditions Verticales. 

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Dès le début de mon séjour à Saint-Nazaire, j'ai entendu parler des Forges de Trignac. C'était peut-être Jean-Louis Vincendeau dont les parents ont tenu le magasin Les Galoches de Trignac qui les a évoquées en premier. Des mots qui sonnaient bien. Je les ai vues un jour, de loin, alors que j'étais perdue sur la quatre voies du côté de Montoir. Des fantômes, ai-je pensé. Il pleuvait, la circulation était dense, je n'ai pas pu prendre de photos. Il y a quelque jours, j'ai été invitée à une réunion de l'association La belle industrielle (encore des mots qui sonnent bien) qui œuvre à la conservation et la valorisation des Forges désaffectés, petit à petit après la deuxième guerre mondiale.  Installés dans un ancien bar, face comptoir, nous avons discuté de ce que signifiait le travail de mémoire. Car si le bâti est un impressionnant, ce qui doit rester à jour ce sont les conditions de travail des milliers d'ouvriers qui ont fabriqué le métal dont les chantiers navals étaient gourmands. L'entreprise connaîtra de nombreux déboires financiers et les grèves qu'on n'appelait pas encore mouvements sociaux, se sont succédé. L'écrivain Jean-Pierre Suaudeau vient de publier un livre chez Joca Seria sur les Forges. Il raconte avec force et poésie les vestiges de béton, les hommes, les luttes d'ici et aussi celles des gars des hauts-fourneaux de l'est du pays. Ma résidence s'achevant cette semaine, j'ai été voir sur place les fameuses forges. Je me suis d'abord perdue dans les rues de Trignac, puis j'ai suivi le Brivet à travers la Zone Artisanale. Certes, le lieu offre une belle scène de crime pour série policière, et il ne faut pas être dégouté par les monticules de merde et de papier toilette, mais la visite reste impressionnante et, pour moi, émouvante. Les usines, les aciéries, les ouvriers mon terreau littéraire. Je photographie, un peu trop vite comme toujours quand je suis émue. Je croise trois types en tenue de travail, des gars de la Ville comme ils me disent. Ils repèrent le chemin qu'ils auront à nettoyer bientôt. Ils commentent : Faudrait tout raser. Rénover c'est trop cher. Il y avait un mur d'escalade mais c'est tout écroulé. Trop dangereux. Un coup de bulldozer et ... Ça a de la gueule tout de même. Vous avez pas peur d'être là ? Je raconte les hauts-fourneaux d'Amnéville, de Florange comme si cela pouvait me mettre à l'abri d'une mauvaise rencontre. La pluie a chassé le soleil, il faut se quitter. Je rejoins ma voiture d'un pas rapide, je suis contente de faire partie de La belle Industrielle. 

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Ce dimanche matin, je suis partie user ma mauvaise humeur sur le chemin côtier, du Grand Traict jusqu'à Pornichet, trois heures aller-retour. Après TOUTE UNE NUIT au Garage à faire écrire une trentaine de personnes jusqu'au matin (on a parfois de ces idées), la fatigue a fait virer ma belle énergie en une humeur plus grise. Il était temps de me dépenser en marchant. Pour ne rien perdre de mes pensées ronchonnantes, j'ai convoqué  Arthaud, Céline, Violette Leduc dans mes méditations. Les bougres et la bougresse savent  parfaitement bien nourrir ma détestation du monde de certains jours. La brume se transformait en bruine et je n'avais de cesse à bougonner contre les bâtons des marcheurs nordiques, les collants des adeptes du running (on ne dit plus footing) qui font la jambe maigre et le cul bas. M'interrogeant sur la capacité des humains à payer très chères des tenues qui font la publicité gratuite aux entreprises du CAC 40 dont la plupart exploitent, sans vergogne, les petites mains du Bangladesh ou de Turquie. Même les mouettes paressant sur l'eau, ne parvenaient pas à réveiller un brin d'empathie envers les sportifs du matin quand au bout de la plage, j'ai vu venir vers moi, un homme en short court et ample, comme les athlètes en portaient communément à la fin du vingtième siècle, révélant des cuisses musclées et rosies par l'effort. Il a relevé la manche de son sweet délavé dépourvu de toute marque publicitaire apparente pour regarder sa montre qui n'était pas connecté. Il avait un bel avant bras qui est la partie qui m'émeut le plus chez les hommes. Le passage étant étroit je me suis plaquée à la roche pour le laisser passer tranquillement. Il m'a gratifiée d'un très beau sourire que j'ai emportée avec moi car il était temps de rentrer mes griffes. Le soleil perçait derrière la brume, les mouettes se sont envolées poussant des cris amples et j'ai eu cette phrase qui prouvait mon changement d'humeur : Dieu est grand certains jours  !

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1 - Quand le paysage, vu de mon bureau,  me déprime, je vais marcher. Dehors, il prend une autre dimension. Les bruits, la sensation de froid, la présence des oiseaux ou d'autres humains redonnent de l'ampleur à ce qui semblait être un jour gris. Mon corps en mouvement fait barrage aux idées noires. Le ressassement devient pensée. Je marche avec le monde, il ne m'engloutit plus sous les mauvaises nouvelles. Ce matin-là, de la brume. Je prends l'appareil photo et pars sur le chemin, toujours le même, de la petite route vers le pont de pierre, puis je bifurque vers les vergers, je continue le long du Gelon, longue ligne droite avec parfois la surprise d'un héron cendré. Sur la départementale des fourgonnettes blanches se croisent - des artisans pour la plupart - après le pré aux vaches, toujours l'agriculteur (le fermier, l'exploitant, comment nomme-t-il son métier ?) s'active. Nous nous saluons mais il y a un tout un monde d'ignorance entre nous. Derrière, la grille le chien noir grogne, grogne, grogne toute dents dehors et moi je l'emmerde. La maison aux volets pervenche, puis la petite route qui monte, le pré aux ânes et j'arrive à la grande bâtisse dont je n'ai jamais vu le propriétaire. Une dernier bout de route et j'ai fini ma boucle. J'ai marché presque deux heures. De prendre toujours le même chemin, c'est ça qui me plaît. Je peux me laisser surprendre par un détail nouveau, un changement. Le même chemin et pourtant toujours différent, forcément. Je tape mes souliers contre le banc et j'ouvre la porte. Le paysage entre avec moi. 

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Il me reçoit dans la salle à manger de sa maison, sa femme prépare le café et offre les gâteaux. On parle des chantiers de l'Atlantique. Il y est entré en 56, il avait 14 ans. Il me montre son marron, le badge qui servait à pointer. Je découvre, collée dessus, la photo d'un petit gars, un enfant. Entré comme mousse puis  devenu traceur de coque, un métier noble. Plans tracés grandeur nature sur un grand parquet en bois. Une salle immense. Il se souvient, raconte. Le froid mais le salaire intéressant et cette fierté d'appartenir à la navale. J'écoute, je note, je regarde le gamin sur le badge et je rate la photo. Décidément, Saint-Nazaire m'impose souvent du flou. Il raconte la croisière sur le France offert par les gars au moment de la retraite, et la fierté quand le commandant le présente aux autres voyageurs et exprime sa joie d'avoir un des bâtisseurs à bord. Il raconte les grèves de 67, deux mois sans reprendre le boulot, la solidarité entre les ouvriers. Il raconte aussi les problèmes d'alcool, la centaine de cafés dans la rue de Trignac vers les chantiers, quartier Penhoët. La paye touchée en liquide et dépensée en liquide. Il raconte des histoires qui ne sont pas tout à fait inconnues, mais qui, dites-là avec la photo du petit mousse posée devant soi, ajoute un réalisme qui bouleverse. On parle encore du France, des méthaniers et des nouveaux paquebots, toujours plus grands, des buildings flottants qui trimballent plus de 3000 touristes. Moins de gueule c'est sûr : Oui, mais, ça a ramené le boulot à Saint-Nazaire. 

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Après un long moment d'écriture, balade dans la campagne aux alentours. Fesses molles, dos vrillé, se tenir loin de l'écran. A cette heure de l'après-midi où il fait presque nuit, je marche vite. Il fait frais. Je pense à celle qui nous a quittés, il y a quelques jours, Françoise Héritier et même si je ne la connaissais pas personnellement, j'ai envie d'écrire : celle qui m'a quittée. Pas toujours besoin des corps pour se sentir proche. J'avance. Le souffle des chevaux me surprend avant même d'apercevoir leur silhouette. Sur le chemin me reviennent le nom, les visages, les histoires d'autres femmes qui m'ont quittée, pas des sœurs, pas des mères mais d’irremplaçables compagnes de route. Celles dont les écrits, les propos et aussi l'art de vivre m'ont aidée à exister, j'allais écrire à m'inventer. Je murmure leurs noms sur le chemin où je suis seule : Thérèse Clerc, Hannah Arendt, Anne Dufourmantel, Marguerite Duras, Susan Sontag, Jeanne Moreau, Christine Daure-Serfaty... Je marche avec mon chagrin mais, pas un chagrin qui engloutit les forces, bien au contraire. Elles sont  présences, là tout de suite, sur le chemin boueux qui contourne les champs. Je marche, personne ne sait que je suis là, et c'est un grisant sentiment de liberté. Dans le taillis noir, arbres sans feuilles, quelques cris d'oiseaux dont je ne saurais dire si ce sont ceux du jour ou de la nuit

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