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L'obstination du bleu Klein.

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Parfois un trajet en voiture vous emmène au-delà de la route. Des voix, des musiques à la radio. Les yeux happés par les lignes d'arbres sur le bord de la route puis les éclairages d'une commune qu'on traverse sans avoir pris le temps de lire son nom. J'avance. Au poste un chanteur raconte son parcours de bad boy et qu'il faut bien s'assagir quand on devient père. La frime dans la musique urbaine qui est une fiction. Comme avec les catcheurs, croire que c'est vrai alors qu'on connait les trucages, la mise en scène. Littérature. J'écoute. Puis il évoque une de ses chansons Madame Courage, le nom d'une drogue consommée en grande quantité à Alger. Un psychotrope utilisé pour soigner la maladie de Parkinson. Mélangée à de l'alcool, elle désinhibe. Avec elle on ose... n'importe quoi. C'est la drogue des soldats et de la jeunesse oubliée d'Alger. Madame Courage aura été généreusement distribuée pendant la sale guerre dans les années 90. Sofiane, c'est le nom de l'artiste, chante et malgré la voix transformée au vocodeur (ce qui d'habitude me vrille les oreilles) il parvient, cette nuit-là, à m'émouvoir. J'entends quelque chose de la jeunesse d'une ville que je voudrais questionner dans mon prochain livre. Une ville, un pays qui ne parvient plus à s'inventer un avenir. Je pense au récent film de Sofia Djama Les Bienheureux qui nous embarque dans la capitale avec des personnages qui sans cesse s'interrogent : Quitter le pays ou rester ? Je roule, direction Saint-Nazaire. Mes paupières se font lourdes quand un chevreuil sur le bord de la route se fige dans la lumière des  phares. Je crie Ne traverse pas et klaxonne. L'animal retourne à l'obscurité et Sofiane chante : Dans une nuit gelée à faire pleurer l'été  / Plus rien à fêter, feu d'espoir éteint / mes yeux cachent un cimetière / Oublier hier pour enterrer demain.