Parfois cela ne vient pas l''écriture. Les mots s'alignent sur l'écran avec le sentiment qu'ils ne m'appartiennent pas. Rien à dire peut-être. Malgré ma visite à l'atelier de sérigraphie à la Maison du peuple de Saint-Claude. Lieu où je me sens bien. Pour son ambiance atelier (outils, matériaux qui se mêlent aux objets exposés), ses fenêtres ouvertes sur la ville... Pour Michel Bastien, le responsable du lieu avec sa gentillesse un peu bougonne quand il ne vous connaît pas. Mais très vite il vous donne à partager son enthousiasme pour le livre, l'image. Et va jusqu'à lire et interpréter les livres-objets exposés ici et fabriqués des élèves.
Oui, je devrais pourvoir raconter aussi la conversaiton et les gâteaux échangés avec Dominique Lacoudre, peintre nantais en résidence depuis quelques semaines et qui travaillait, ce jour-là, à un kamishibaï, théâtre de papier... . Oui il faudrait que j'écrive plus longuement sur la maison du Peuple de Saint-Claude, mais la force de son histoire humaine m'effraie. Me tétanise. Comment saisir en quelques mots ce qui fut une longue et belle histoire de coopérative ouvrière, de militance, de partage ? Ne pas réduire à quelques clichés la belle aventure humaine. Il me faudrait une fiction pour oser donner à lire une telle histoire. Alors quelques photos, ci-dessous, pour raconter un peu le lieu. Sans les mots. Les mots qui reviendront, je le sais. Mais la peur tout de même de se perdre en leur absence.
Ils ont la vingtaine, garçons et filles qui ont choisi la filière des arts du bois. C'est un lycée professionnel tout près du lac de Vouglans et moi j'arrive avec Journal d'un manœuvre de Thierry Metz : Ici on a les gestes du nomade, on est en dehors, sur le sable. Dans le provisoire. Comment habiter un tel lieu ? Quatre heures d'atelier par jour pendant cinq jours. Et cette belle entente car le travail du bois et de l'écriture exigent des gestes qui nous sont communs. On s'apprivoise et tout avancera avec une belle sérénité jusqu'à la lecture du vendredi avec des textes et photos exposés. Travail en noir et blanc autour du geste. Un peu moins à l'arrache qu'en d'autres lieux qui réclament du corps à corps, autre forme d'énergie, mais parfois aussi le travail lent et patient peut donner du résultat. Pas toujours bosser en force. Ces étudiants viennent d'Alsace, de Paris, de Slovénie, des bords du Doubs ou encore du bitume, certains viennent de petits territoires qui étouffent ou de l'atelier du père, de la mère - ils l'ont écrit. Le sentiment de se comprendre et de mener à bien l'atelier, autre mot commun à notre pratique. Quand il sera l'heure de partir, je serais sereine à conduire entre Jura et Savoie avec Mansfield Tya et Yello en fond sonore. Le sentiment du travail bien fait (mérité ?). Se sentir si vivante que mourir ne fait plus peur.
Je viens d’un village nommé Briffons éloigné de toute civilisation, avec plus de vaches que d’habitants. Je viens du béton et de la grisaille. Je viens de mondes que tout oppose. Je viens des voyages et des rencontres. Je viens de l’égoïsme et la générosité. Je viens du milieu, le milieu qui sépare la famille, le milieu des choix, des ennuis, des envies. Je viens des cours de solfège, ennuyeux et obligatoires. Je viens des exercices de piano. Je viens d’une envie de vivre une autre vie. Je viens de la musique, enfermée dans ma chambre. Je viens des parcours accrobranches, du canyoning, du kayak, du ski, des parcs d’attraction, des centres aérés et des colonies de vacances. Je viens des crayons de couleur, du papier, du stylo à bille, à encre.
Je viens de Crépey, Colombey, de Nancy, de Paris et de Moirans. Je viens d’une campagne et d’une famille que je fuis. Je viens d’un petit bout de terre qui m’a souvent étouffée. Je viens de Lyon et des ses environs. Je viens d’une grande maison et d’un jardin sans fin dans lequel on se perd et on s’évade. Je viens d’un atelier de sculpture et de vernissages à répétition, d’une maison délabrée prête à être retapée.
Je viens du chantier et d’une envie de fabriquer.
Je viens du chlore et du sel, des étendues d’eau, des sources et des cascades.
Lycée des arts du bois, Pierre Vernotte, Moirans-en-montagne
Journal du bord 2 (début mars ) - Je ne voulais pas tenir de journal et pourtant, je note, j'écris. J'ai ouvert un cahier. Je cherche encore la bonne entrée. Le terme journal DU bord, m'intéresse particulièrement car je m'interroge : Nous sommes au bord de quoi ? Six semaines. Le confinement pourrait durer six semaines. Écrire. Habiter l'inconnu. L'éloignement des autres. Quelque chose a lieu qui n'a encore jamais existé dans mon parcours de vie. C'est éprouvant. C'est excitant aussi. Avec lui, nous écoutons la radio toute la journée et le sort de l'Italie avec ses trois semaines d'avance nous intéresse particulièrement. Je fais d'étranges rêves et je n'ai rien trouvé de mieux que de lire la terrible nouvelle d'HP Lovecraft, La Malédiction de Sarnath.