Dans le train, un vieux wagon avec le couloir sur le côté où l'on peut se tenir debout et regarder le paysage, le thème de mon prochain livre s'impose. Un livre sur le déplacement, peut-être l'errance. Des villes aussi s'imposent : Dresde, Binz dans les îles Rügen, Thionville, Port Louis, Mestre. Des villes que je connais et qui pour certaines me fascinent par leurs zones industrielles. Ce livre trouvera aussi sa source dans cette brève rencontre avec un stoppeur pris dans le Jura (déjà racontée sur ce site). Un homme d'une quarantaine d'années qui "voyageait" et m'a dit venir d'un pays qui n'existe plus : l'Allemagne de l'Est. Rencontre troublante et je m'étais posé de nombreuses questions. Quelle place donnée aux Allemands de l'Est dans la construction d'une Allemagne réunifiée ? Et ces 100 marks offerts en signe de bienvenu (acte d'allégeance au système libéral ?) et dont certains n'étaient pas dupes et avaient même ignoré. Leur donner la parole ? Ce train me ramène aussi aux nombreux voyages d'avant, quand il m'arrivait de passer douze heures coincées entre les portes du WC du wagon et mon sac à dos, traversée de l'Italie ou de l'Espagne. On pouvait fumer une cigarette dans le couloir, fenêtre entrouverte et qu'il fallait se coller à la vitre pour laisser passer un autre voyageur. Des voyages qui nous inscrivaient de manière particulière dans le temps et le paysage. Je me dis que celui qui n'a plus de pays d'origine peut errer longtemps à en chercher un autre. Je sais aussi que dans ce livre, on parlera de désir. Cet homme sans pays aimera l'amour, faire l'amour. Il a déjà un nom : Falco. Une voix annonce la proximité de la gare, je me prépare à descendre. Je suis légère et joyeuse, il en est souvent ainsi quand le prochain livre s'impose.
Dresde Mai 2013 - Prendre une photo, c'est raconter aussi tout ce qu'il n'y a pas dans le cadre. Frühlings Markt, marché de printemps sur le Altmarkt platz. De nombreux stands comme sur les marchés de Noël d'Alsace. Produits locaux pour l'essentiel, mais on peut surtout y acheter de quoi boire et manger, d'ailleurs les pommes de terres rôties (Bratkartoffeln) y sont absolument délicieuses. Assise sur un banc en bois, bière polonaise posée sur la table également en bois, je regarde autour de moi. Ce trop de dentelles, de broderies, de fleurs m'attirent l’œil. J'aurais pu photographier la place sympathique, les étudiantes chinoises qui aiment la bière, le jeune couple qui s'ennuie - je l'ai d'ailleurs fait. Pourquoi je choisis ce trop de guipures ? Parce que cela correspond à mon ressenti depuis que je suis ici à Dresde, ville détruite par les bombardements et reconstruite à l'identique, pierre par pierre. Centre ville où l'on se tord les pieds sur les pavés devant les églises, les vieilles demeures, les musées où se ruent le touriste. Rénovation de l'après-guerre, mais aussi rénovation de l'après chute du mur où tout a été repeint à hauteur de touriste. Il m'a fallu prendre le tram (nombreux et très pratiques) pour rencontrer l'en dehors du guide. Ce qui n'est pas destiné au touriste qui VEUT VOIR CE QU'IL Y A VOIR. Il ne peut pas être déçu. Alors quand je reviens dans le centre après avoir photographié quelques friches industrielles et banalités , je cadre cette cabane à dentelles. Je veux cerner cet excès, cette boulimie de jolie et cela me ramène à mon hôte qui à force de m'offrir chocolats, biscuits et pralines pour m'accueillir m'a rendue malade la veille. Je photographie comment le trop peut nous filer la nausée.