[le site de Fabienne Swiatly ]

L'obstination du bleu Klein.

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C’est un vendredi de juin. Juin 2009. Je sors d’une réunion de travail pour sélectionner les lauréats d'un concours de nouvelles (Quelles nouvelles ?). La discussion était intéressante. Le concours accepte de primer des  textes qui ne font pas consensus (quel mot difficile à écrire en toute simplicité). La journée est belle, dans une heure, je prends un train pour  Chambéry. Randonnée dans le massif de Belledonne prévue pour le week-end.  La vie est légère. C’est l’été. Pleinement l’été. Oui Michaël Jackson est mort, oui Frédérick Mitterand est ministre de la Culture, oui à Calais des hommes sont arrivés dans l’entonnoir du mythe européen et ils en crèvent comme des chiens. Oui. Mais ce serait mentir de dire que je ne parviens pas être heureuse ce jour-là. Vivante en tout cas.
Et,
Mais,
A l’arrêt de bus où je patiente, trois hommes en tenue Sécurité TCL, Transport en commun de Lyon, encadrent une femme. La trentaine. Trois autres personnes s’y ajoutent, celles-là en tenue Police Municipale, puis viennent se joindre à elles trois Policiers, voiture qui se gare avec arrogance en contre sens. Coup de volant viril. Ils portent des armes. Neuf uniformes assermentés. Neuf personnes dont certaines armées, encadrent un 27 juin 2009 vers 15h une femme d’une trentaine d’années, non armée, en tenue estivale.
C’est ce que je vois.
J’interroge un TCL : elle doit être dangereuse ? Lui avec du dépit dans la voix : elle a de nombreux PV non payés à son actif. Je m’étonne du dispositif. Il répond, oui, je sais mais on doit prévenir la police. On est obligé.
Donc, pour notre sécurité (discours officiel), il faut neuf personnes dont certaines armées pour neutraliser une femme d’une trentaine d’années qui ne paient pas ses PV. Sa dangerosité est telle qu’il faut mobiliser neuf personnes pour faire cesser ses agissements mafieux. Une délinquante de haut niveau interceptée à un arrêt de bus. Parce que les grands bandits, les grands arnaqueurs, les profiteurs du Cac 40, des délocalisations, des placements véreux, des abus de pouvoirs, des je tape dans la caisse… prennent, bien entendu, les transports en commun… Alors neuf personnes, c'est bien le minimum.
En tout cas, c'est un flagrant délit. Et ça c’est bon à prendre, un flagrant délit. Bon pour les statistiques du Ministre de l'intérieur.
J'ai peur, mais pas de cette femme. Non vraiment pas.

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Le monde dans lequel je me déplace, dans lequel je travaille, dans lequel je partage le thé ou le café, dans lequel je prends des photos, dans lequel je tente l'écriture ne ressemble pas à celui qui me parvient à travers les médias. Cette mise à l'étroit d'un monde frileux et apeuré où un jeune devient les  jeunes, un noir les noirs, un basané les arabes... L'événement oblitère la diversité, la lenteur des rencontres, des projets, des tentatives. Dans le monde que je partage avec bien d'autres, je croise Alexandre qui soigne les vieux des maisons de retraite, Marouwane qui sait ce qu'est un acrostiche, Leila qui offre des crêpes au gardien de l'immeuble, Mireille qui ouvre sa porte plus grande que celle de son pays, Ariana qui écrit de la poésie pour supporter sa vie sans père et sans repères, Ugür qui raconte la poésie turque... Je pourrais faire une liste étourdissante de ceux et celles qui ne font pas l'événement mais donne du contenu aux jours. La chasse à l'événement distille une peur vaine et  stérile. Parfois il suffit de dire bonjour pour que l'autre vous réponde  bonjour à son tour. S'il y a des petites gens comme l'on dit, j'aime partager ma vie, mon monde avec les petites gens. J'aime être une petite gens. J'aime alors me simplifier la vie.

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Se tenir à distance de la conversation médiatique. Taire les noms qui circulent de plus en plus et veulent désigner un groupe imaginaire, celui qui serait coupable de nos maux "français". Trouver des mots qui entrent en action et se tenir au bon endroit. Refuser haut et fort la rumeur et ouvrir l'espace. Ne pas nourrir la chaîne de la peur. Mais les mots me manquent. Difficiles à convoquer sur la feuille. Mal au ventre. Comment endiguer la vague de fond de cette peur vile qui racornit le monde. Je vis dans un pays gris. J'y vis depuis ma naissance, je suis donc responsable aussi. Agir. Réagir. Les mots me manquent. Relever la tête. Sourire. Ne pas baisser la garde. Surtout pas. Pour ma prochaine résidence, j'ai proposé le thème : le rêve est-il soluble dans le présent ? Rêver. Élargir l'horizon, inventer plus loin que la rigueur et la peur. Pourtant il me semble, aujourd'hui, alors que le soleil nous ramène au printemps, alors que la semaine passée en famille fut légère, alors que je me sais aimée et aimante, il me semble n'avoir plus de mots pour me défendre. Pour nous défendre. Ma bouche est grise.

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Il est des auteurs qui se décrètent propriétaires de la langue, la vraie langue française. Une langue qui serait immuable comme si elle n'avait jamais été enrichie par des langues étrangères, des langues régionales, des mots d'argot... Une langue qui n’existerait que pour ressusciter dans leurs écrits car eux ils savent. Richard Millet en fait partie et il tient à l'affirmer souvent. Écouté et respecté car il est également éditeur (dont deux Goncourt précisent les interviewers), il décrète ce qui est beau dans la langue et ce qui ne l'est pas. Ce qui ne l'est pas, vient essentiellement de la banlieue. Car même s'il est un grand écrivain, il utilise un vocabulaire généraliste pour désigner l'autre : les noirs, les arabes, les jeunes de banlieue. Lui-même se définit comme étant français de souche, blanc, catholique, hétérosexuel et se sent menacé par l'autre dans cette construction identitaire. J'avais, il y a quelques années lu son livre Lauve le pur, j'y avais trouvé une langue moins exigeante que celle promise par son auteur mais qu'importe ma déception car ce qui m'a poussée à définitivement refermer le livre c'est une phrase presque anodine au premier abord : "en m'asseyant près de la vieille dame (...) dont les années avaient à peine altéré le beau et très français visage." Un visage très français ? j'ai beau tourner cette phrase dans ma tête, j'ai beau questionner l'histoire française, je ne vois pas ce que peut-être un visage très français (caucasien ? ). Comme elle a été écrite par un vrai érudit (français, blanc, catholique, etc), elle n'est pas anodine. Si elle ne suggère pas un visage précis, elle tente subtilement d'effacer tous les autres visages qui constituent la France, ceux qui comme mes grands-parents et parents ont immigré au début du siècle, et ceux d'avant encore. Ceux qui ont permis que sur ma carte d'identité, il y ait écrit nationalité française et que je puisse le vivre sereinement sans avoir à justifier de mon faciès aussi beau soit-il. 

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