Le monde dans lequel je me déplace, dans lequel je travaille, dans lequel je partage le thé ou le café, dans lequel je prends des photos, dans lequel je tente l'écriture ne ressemble pas à celui qui me parvient à travers les médias. Cette mise à l'étroit d'un monde frileux et apeuré où un jeune devient les jeunes, un noir les noirs, un basané les arabes... L'événement oblitère la diversité, la lenteur des rencontres, des projets, des tentatives. Dans le monde que je partage avec bien d'autres, je croise Alexandre qui soigne les vieux des maisons de retraite, Marouwane qui sait ce qu'est un acrostiche, Leila qui offre des crêpes au gardien de l'immeuble, Mireille qui ouvre sa porte plus grande que celle de son pays, Ariana qui écrit de la poésie pour supporter sa vie sans père et sans repères, Ugür qui raconte la poésie turque... Je pourrais faire une liste étourdissante de ceux et celles qui ne font pas l'événement mais donne du contenu aux jours. La chasse à l'événement distille une peur vaine et stérile. Parfois il suffit de dire bonjour pour que l'autre vous réponde bonjour à son tour. S'il y a des petites gens comme l'on dit, j'aime partager ma vie, mon monde avec les petites gens. J'aime être une petite gens. J'aime alors me simplifier la vie.
Peut-on se lever chaque matin avec en soi ces tiraillements qui voudraient ou pas une frappe aérienne en Libye, qui voudraient ou pas la destitution de Laurent Gbagbo, qui voudraient ou pas la constitution d'un front républicain, qui voudraient ou pas que DSK se présente aux élections ? On ne peut pas toujours vivre avec le poids du monde sur ses épaules. Il faut bien respirer. Créer des espaces disponibles pour réfléchir. Se sentir en lien avec ce mystère qui chaque jour fait exister le monde malgré nos tourments. Revenir à hauteur d'un vol d'abeille ou le déplié d'une fleur. Je suis affamée d'horizon, d'air qui circule, d'avenir à inventer... Cette faim m'amène, le plus souvent, à ouvrir des livres. Souvent les mêmes. Lointain intérieur d'Henri Michaux et ces mots tout de suite que je lis : Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l'arbre, et nous nous dispersons gênées. Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent ? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours ?
S'EXTRAIRE. Le temps de l'écriture. Se tenir à distance de l'information qui nous donne l'impression d'agir sur le monde et ses violences. ILLUSION. Tout savoir qui nous rend plus impuissant que jamais. Difficulté à inventer une autre façon d'être ensemble. Puisqu'il faudrait sauver TOUT le monde, nous finissons par oublier ceux qui s'épuisent à survivre autour de nous. ARRÊTE DE DIRE NOUS. Je dois parler de mon impuissance et trouver le chemin vers ce qui me permettrait d'agir, d'interagir. FATIGUE. Oui je fatigue car que je n'entends pas assez la voix de la jeunesse. Où est la force ? Mais JE N’ABANDONNE PAS. Je questionne. Je sais que l'ennemi est perfide, il n'a pas visage reconnaissable comme dans les films ou d'avant la chute du mur qui semblait diviser le territoire en deux terrains, comme au foot et que forcément nous étions du bon côté. CONFUSION et puis il est déjà l'heure des vacances, des soldes et de se serrer la ceinture pour payer des études à nos enfants. Je remplis des CARNETS pour penser quelque chose de précis. Écrire malgré tout. TOUT. La guerre n'est pas la seule manière d'avancer ensemble.