La caboulotte 17 - Écrire alors qu'il n'y a rien à dire. Mais écrire c'est peut-être cela : chercher ce qui ne se dit pas. Je relis cette dernière phrase et me dis : foutaise ! Un mot que j'emploie souvent en ce moment. Je le décortique : fou d'aise, se foutre d'aise, les fous se taisent ? Écrire sur les choses qui ont peu d'importance. La bagatelle. Le non-événement et honorer le rendez-vous d'une chronique tous les quinze jours sur mon site et les réseaux sociaux. Orgueil ? Sûrement. Assiduité, obstination aussi. Il fait froid dehors (- 8 la nuit), heureusement il fait bon dans ma caboulotte mais le corps a du mal à quitter la chaleur du lit. Couette épaisse, nombreux coussins et plaids. Une citadelle de tissus chauds. Je me force. Les journées sont courtes encore. D'abord un café, un peu la radio puis ma gym. Mais quelque chose résiste aujourd'hui. Tout est laborieux. Je me force. Moulinets des bras pour muscler les biceps, un peu en biais pour ne pas cogner dans le placard. Mouvements au sol sur le tapis coincé entre la table et la porte. Espace restreint. Ce matin ça ne veut pas. Mon corps regrette le lit. Gestes mécaniques. Dehors le givre, le froid et aussi le soleil. Pas envie de perdre mon temps. J'enfile sur mon pyjama à carreaux un sweet jaune moutarde, par dessus une veste de laine orange, à mes pieds des grosses chaussettes vert épinard, autour du cou une écharpe rouge et enfin mes grolles lestées de boue sèche. Tant pis pour la tenue extravagante et inhabituellement colorée, c'est avoir chaud qui compte. Et l'alouette du matin s'en fiche dédaigneusement. Elle bouffe. Je marche d'abord puis cours entre les arbres, je bois le froid et la lumière. Je prends l'air. Le givre recouvre tout. Exalte les formes. Le mot beau me vient. C'est un mot fourre-tout. S'en méfier. Dans la langue française tout est si facilement beau. Froufroutement vers le compost, un lièvre s'extrait du bac et fuit dans les fourrés. Je bois l'air, je bois le paysage. Ma vie n'a rien d'exceptionnelle et pourtant j'aime la mettre en mots. Écrire, donc, même s'il n'y a rien à dire. Être au monde et, pourquoi pas, écrire des foutaises.
22 La Caboulotte - Tombe la neige. Une journée entière. Silence impressionnant des oiseaux. Une belle poudreuse qui recouvre tout le paysage. Par moment le bruit du grésil emporté par le vent. Je décide aussitôt de creuser un chemin de subsistance comme disent les encabanés canadiens. Ceux et celles qui aiment traverser l'hiver dans des cabanes rustiques en pleine forêt. Creuser un chemin vers l'eau, vers le bois, vers la voiture tant que la neige n'a pas gelée. S'organiser différemment pour éviter de tout mouiller. Emprunter une paire de bottes aux amis de la ferme du dessus. Pratiques pour marcher dans la neige mais pas facile à retirer quand on est seule. La neige. Je suis traversée par une joie enfantine et un peu d'appréhension : combien de temps ? Penser aux agricultures qui doivent lutter contre le gel. La neige, le froid me contraignent au repli même si j'ai traversé les bois et les prés en sautillant comme une gamine. M'enfonçant parfois jusqu'aux cuisses. Mes traces qui viennent se mêler à celles facilement reconnaissables du lièvre. Puis se sécher et se poser au chaud. J'ai de quoi lire et écrire. Je me suis lancée dans la lecture des carnets de Pierre Bergounioux qui est un écrivain que je connais mal. Une écriture en ombre et lumière. Mais l'ombre est parfois terriblement menaçante sans qu'il ne nomme jamais la menace. C'est là. Ses obsessions. Les insectes qu'il immortalise tout en réduisant leur vie pourtant déjà brève. Son besoin d'apprendre ou plutôt de connaître. Le lumineux d'une partie de pêche, puis l'accablement après une longue journée comme prof. Je lis avec intérêt mais mon étonnement tout de même qu'à la date du 10 mai 1981, il soit seulement noté : Mitterrand est élu. Pas un seul commentaire sur ce qui fut un événement (joyeux ou terrifiant) pour toute la France : la gauche prend le pouvoir. Troublant. Et moi qui tiens un journal quasi quotidien depuis mon installation ici, je m'interroge sur mes propres oublis. Je relis des passages. L'Ukraine, les élections, la pandémie sont bien présents, même si mes commentaires ne sont jamais très longs. Une nuit sous la double couette et déjà la neige se soumet au soleil du matin. Bavardage des oiseaux. Les toits, les rebords de fenêtres, les branches des arbres gouttent. Retour aussi des vautours qui quadrillent scrupuleusement le territoire. Ils ont faim. Cette fois-ci j'en compte plus d'une vingtaine. Trop loin pour que je les prenne en photo de manière intéressante. Il fait un temps à marcher, ce que je vais faire tout à l'heure, appareil photo à la main, bottes aux pieds. Moi aussi j'ai faim. De lumière.
23 La Caboulotte - Sept mois que je vis ici et certains moments de solitude auront laissé un peu trop de place au chagrin. Ce chagrin qui m'encombre depuis plus d'une année, même s'il s'allège avec le temps. Mais quand il s'invite à nouveau dans mes pensées, il brouille mon humeur, réveille d'autres chagrins et je ne sais pas quoi en faire. Est-il possible de désaimer ? Pas au passé en tout cas. Alors, il y a la musique et la danse. Formidable recours. Alors oui j'ai dansé dans la neige, bottes en caoutchouc au pied. J'ai dansé à poil devant le poêle. J'ai dansé engoncée dans ma parka quand le vent se faisait glaçant. J'ai dansé au bal littéraire organisé par Pandora, mais c'était ailleurs. Et j'ai dansé sur le perron en bois de la caboulotte qui me sert alors de scène. J'ai dansé sur du Marvin Gaye, James Brown, Mansfield.Tya, Konstantin Gropper, The Troggs et tant d'autres. J'ai dansé avec toute la vitalité de mes 61 ans. J'ai dansé comme une gamine qui dirait : Encore ! J'ai dansé sur du Rachid Taha qui toujours m'accompagne : Voilà, voilà que ça recommence / Partout, partout, ils avancent. J'ai dansé sur Poutine. J'ai dansé pour l'Ukraine. J'ai dansé contre le dérèglement climatique et les élections perdues par la Gauche. J'ai dansé mon impuissance et dit merci à la vie. J'ai dansé et je danse encore en imaginant qu'un jour un danseur viendra mettre se pas dans les miens, puis j'oublie. Danser et me souvenir que depuis l'enfance et les fables de La Fontaine, j'ai toujours préféré la cigale à la fourmi. Je danse face à mes girafes comme je nomme les pins malingres de mon champ de vision. Pins dont le tronc recouvert de taches de mousse me fait penser au pelage de l'incroyable ruminante à laquelle je suis associée depuis l'âge de douze ans. Au-dessus d'1m70, les filles rejoignent le monde des girafes. Alors oui, je danse sans effaroucher les mésanges qui, au contraire, semblent se rapprocher et m'observer. Mésanges à qui je dédie ma chorégraphique sur " Ça ira, tu verras " de Séverin qui me met à chaque fois de belle humeur : Hé les oiseaux. Je ne sais toujours pas siffler mais, regardez, je sais danser !
30 - La Caboulotte. Dernière. Levée tôt pour finir de ranger, vider la Caboulotte qui est redevenue Rouge-Gorge de son nom de baptême. Des ami.es du camping étaient là pour saluer mon départ. Je voulais partir avant leur réveil mais c'était bien de prendre un café avec eux. J'ai souvent du mal à dire au revoir. Onze mois passés ici dans une aire naturelle près de Bourdeaux. Un lieu géré par un collectif de 18 personnes dont je fais partie. Un lieu ouvert aux campeurs et campeuses, aux ami.es et parfois on y accueille aussi des groupes de travail, des artistes, des camps de jeunes... Et parfois la surprise d'une lecture improvisée, d'un solo de violon sous les arbres, d'un cours d'impression végétale, etc. Et son lot de soucis aussi, forcément. Même si j'ai tendance à apprécier la solitude, j'aime sentir qu'ici est aussi l'espace vivant d'autres personnes. Pendant l'hiver où la solitude était particulièrement prégnante, il me semblait ressentir leur présence. Il y avait du nous dans leur absence. La gestion est collective mais aucune obligation de vivre son séjour en communauté. On peut s'isoler avec son ou sa compagne ou ses invité.es. On peut saluer de loin et ne pas venir aux apéros du soir. Le contraire est possible également. Évidemment la gestion collective a ses contraintes surtout que nous habitons ailleurs, certains même hors de France (ma présence sur un temps long est une exception). Seule l'agricultrice associée habite sur place. Inutile de dire que les Assemblées Générales sont des moments délicats car il faut prendre de nombreuses décisions sans avoir vraiment eu le temps de les débattre. Il arrive que l'un ou l'autre quitte l'Assemblée en pestant ou se promettant de vendre sa part. Puis les week-ends travaux nous remettent d'accord ou au moins en amitié. Au-delà de la beauté du site, j'apprécie ce lieu pour le faire ensemble qui s'invente au fur et à mesure. Et cette aventure collective, je l'emmène avec moi alors que je ne sais pas encore bien ce que signifie vivre dans un habitat roulant. Dans un fourgon. Seule.
Fourgon dans lequel j'écris cette ultime chronique de La Caboulotte qui deviendra bientôt la chronique de Mon Chéri puisque j'ai baptisé ainsi mon Crafter (oui cela me fait rire). Il est garé à l'ombre d'un immense thuyas qui souffre terriblement du manque d'eau. La porte est ouverte. J'entends des voix d'enfants et les grondements du ciel mais pas de pluie attendue. Je vais y rester deux jours, au-dessus de Maclas dans la Loire. Le temps d'apprivoiser les rangements, les circuits électriques (je suis quasi autonome en électricité grâce un panneau solaire sur le toit). Et je ne sais toujours pas quel est le meilleur endroit pour poser ma brosse à dents. Dans ce fourgon je suis bien et je le dois au travail de Xavier Meyer de Vanroadevasion qui a su m'écouter et répondre à mes besoins en respectant mon budget. La Caboulotte est loin. Le fourgon est là. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de mes prochains jours. Écrire est la seule certitude, Mon enracinement dans la vie. Depuis longtemps. Écrire. Bonne qu'à ça. Tant mieux.