Ce matin un atelier avec une classe CAP qui se prépare au métier de technicien de collectivités - pas eu le temps d'enregistrer le terme exact - La professeure, un peu inquiète, évoquait une classe difficile. Du coup, j'ai cogité ma proposition toute la nuit, puis au petit-déjeuner, puis le temps d'enlever le givre de ma voiture, le temps de rouler de Cinquétral à Saint-Claude, le temps de trouver le bon bâtiment, le temps de trouver la bonne classe. Puis j'ai ouvert la porte.
La salle de cours semble calme - deux garçons dont l'un est d'une autre classe et qui a demandé à participer à l'atelier parce qu'il n'avait pas cours (c'est encourageant) et dix filles.
Si je prépare toutes mes interventions à l'avance, il m'arrive d'improviser en dernière minute - besoin d'une force vitale pour bien animer un atelier.
Pour me présenter je leur lis deux chapitre de mon livre Gagner sa vie. Ecoute attentive mais aucune question.
Le thème des ateliers que je propose est Jusqu'où la ville, mais j'ai envie de démarrer sur leur quotidien de lycéen. Je propose d'écrire une liste de verbes à l'infinitif pour raconter une journée complète. J'improvise un texte en live, pour leur montrer comment faire jouer le rythme, comment personnaliser le contenu. Mettre mon corps en jeu pour transmettre de l'énergie - ça écrit. Plus de vingt minutes. Sans rechigner. Je découvre qu'un élève a un handicap et que celle que je prenais pour une élève est son accompagnatrice. Une autre élève est algérienne et ne maîtrise pas bien le français, mais ça écrit.
Ils rechignent à lire leur texte, je le fais à leur place (ce qui ne m'arrive pas souvent) mais toujours ce sentiment qu'ils ont besoin de mon énergie. Ils sont contents, une étrange sonnerie façon publicité radio annonce la fin de l'atelier. Ils partent, je suis crevée mais contente.
Extrait de l'un des textes qui a été un régal à lire :
"Se réveiller - 6h15 – traîner au lit – se laver, s’habiller, retourner, revenir, chercher, oublier, revenir, fermer, descendre, voir, partir, manger, partir
Arriver en cours, ne pas écouter, finir sa nuit, penser à autre chose, sortir, changer de classe
Redormir, rêvasser, finir sa nuit, rigoler, s’amuser, ressortir, descendre, chercher, regarder les gens, encore rigoler, retourner
Rentrer, rêvasser, sortir, rerentrer, rigoler, ressortir
Partir, monter, chercher, aller, revenir, redescendre, chercher, regarder, s’amuser
Rentrer, ressortir, rerentrer, ressortir, descendre, regarder, remonter, finir les cours, rentrer au D, rigoler, s’asseoir, toujours rigoler, sortir, marcher, revenir sur ses pas, monter, descendre, s’asseoir, descendre, attendre, manger, rigoler, se lever, se rasseoir, se relever, partir.
Rentrer, ouvrir son sac, faire ses devoirs, les finir, mettre de la musique, repartir, revenir, traîner, s’habiller, descendre, discuter, rigoler, remonter, dire à demain, se déshabiller, éteindre la grande lampe, allumer la petite lampe, téléphoner
Se coucher, penser, lire, écouter de la musique, dormir"
Bibliothèque municipale de Saint-Claude
Ceux autour de la table, après lecture d'un extrait du Livre des fuites de Le Clézio, cette consigne d'écriture : J'entre dans Saint-Claude... choisir un trajet, le poursuivre jusqu'au bout, marcher ou rouler en voiture, à vélo... un trajet qui avance et saisit les bruits, les sensations dans le mouvement. Arrivé au bout du trajet, recommencer : j'entre dans Saint-Claude. L'extrait du Livre des fuites s'y prête bien... Donne le rythme.
Un jean bleu
La ville de la pipe et du diamant
De l'air froid
Un vieux mur
Un cahier de texte arraché
Un homme ramasse des papiers
Pourquoi mourir ?
Le vent me fouette
Un groupe de jeunes :
Walla, hela, t’es ouf
Des profs sortent du collège Ma main amoureuse
Collège Rosset - Classe de Gisèle Ciuariu et Mme Raffin
Dix-huit carreaux, six fenêtres, une fiche d’écoute
Les doigts touchent l’eau douce
Enchantent le ciel
Pourquoi ça m’énerve ?
Ecole du Truchet - Classe d'Annick Basset
15 - Le lieu était bien choisi, au bord d'une rivière qui fera tourner la turbine électrique. Rue de la serre au bord de l'Abîme - La réalité est plus audacieuse que la fiction - Adamas, coopérative ouvrière diamantaire, s'est installée dans l'étroit du paysage en 1920 et cessera tout activité en 1960 par manque de diamant brut - le fournisseur sud-africain s'étant tourné vers d'autres tailleurs, en Inde notamment.
L'homme qui nous fait visiter la friche, vit depuis longtemps ici. Son père a été directeur de la Coopérative. Il vit seul dans ce quartier que l'hiver semble ne jamais vouloir quitter, le froid entretenu par l'absence de soleil. Il a racheté l'appartement dans lequel il vit, au milieu des archives paternelles. Le bâtiment est vétuste mais il tient à rester là. Seul, sans voisin avec le froid humide qui n'incite pas à la visite.
Traversant les ateliers poussiéreux que deux hommes vident à tour de bras, il me semble entendre le bruit infernal de la turbine, des tours qui mettent parfois deux jours à scier un diamant. Une centaine d'ouvriers qui choisissent, clivent, scient, équarissent, polissent la pierre précieuse. Ouvriers qui vivent dans les maisons qui jouxtent l'usine et qui vont se mouiller le gosier à la brasserie collée aux bâtiments.
Je photographie ce qui va disparaître dans les cartons, s'éparpiller dans les pays où l'on peut encore utiliser les vieux tours. Un bout d'histoire est emporté ailleurs. Loin. Les gars qui déménagent ne savent pas grand chose, ils font leur boulot.
Le tremblé de certaines de mes photos n'est pas dû qu'au froid.
L'homme nous offre un thé dans sa petite cuisine. Quelque chose de triste. L'histoire qui se meurt et l'inquiétude de voir s'éloigner une partie du patrimoine industriel. Et l'homme qui aime ce lieu, cette région, avant de nous laisser partir, évoque un lieu-dit où il va se promener parfois, à quelques pas de chez lui et qui porte le nom de Sous - malheur. Oui, décidément la réalité a bien plus d'imagination que la fiction.
Depuis la veille, le texte d'Arno Calleja semble me souffler que je dois, avec cette classe, tenter autre chose. Prendre un risque. J'ai une hésitation qui fait que sur les trois heures d'atelier, dont une heure à l'extérieur dans les hauteurs de la ville, j'ai consacré 20 minutes à la proposition. Le texte Hargne commence ainsi : la langue qu'on nous parle nous donne la force. la langue qu'on parle nous donne la fureur. la lanque qu'on parle nous donne l'envie. la langue qu'on parle nous donne la pulse. on suit la pulse de langue qui nous traverse. elle donne pulsion. elle donne tension. on est tendu d'force lorsqu'on parle la langue... Lire la suite sur Inventaire/invention.
Avant de lire le texte. Je leur explique, groupe où certains sont loin de la langue qui doit s'écrire en classe, que j'ai pensé à eux la veille en lisant Calleja. Je leur dis combien, en face d'eux, je sens leur vitalité (je précise que vitalité vient de vie) mais que je sens combien cette vitalité est tantôt créative, tantôt en impasse. Et je dis aussi que j'hésite avec ce texte, mais qu'ayant fait le lien avec le groupe qu'ils forment, je prends le risque que cela ne produise rien.
Je lis donc un montage du texte. Et leur propose de m'écrire comme cela vient, ce que eux pensent du langage qui est le leur. Langage que je ne comprends pas toujours, langage qui ouvre et referme (je ne suis pas là pour jouer la complicité, mais leur offrir un territoire d'échanges), que je suis surprise d'entendre cette même langue dans les banlieues mais aussi les collèges des quartiers chics de Lyon. L'élan était là, je les ai vu se pencher sur leur feuille. Accepter la proposition. L'extrait ci-dessous me fait regretter le retentissement rapide de la sonnerie. Aussitôt Ils ont laissé leur écrit et emmené la langue, leur langue, dehors. Enseignantes et moi, un peu seules dans le désordre des tables, mais contentes :
Mon langage est familier, je voudrais bien parler courant ou soutenu.
parfois, j’essaye de parler courant et soutenu
j’utilise des mots arabes alors que je ne suis pas arabe
mais je respecte toujours mes grands, les adultes : bonjour, au revoir, excusez-moi…
Je parle un peu, je parle le français un peu,
j’aime un peu cette langue
j’aime le quartier des Avignonnets
on y parle bien, on parle en turc, on parle en français
mon langage est toujours moitié.
mon langage est chelou, c’est chelou, c’est le truc qu’on dit
c’est chelou tout ce qu’on dit
mon langage déchire, mon langage pète
je parle comme je veux en arabe, en turc
personne va m’en empêcher
La langue de demain
celle de demain, c’est ma langue
je l’admets, elle est familière
familière c’est ma langue
la langue de demain
L'écrivain est dans la manif !
Je m’entoure de livres. Espace blindé de mots même s’ils tiennent peu de place en hauteur, car je les étale. Dans la bibliothèque, les livres en retrait. Au plus près, ceux qui vibrent avec l’instant, éparpillés sur le sol, le canapé, la table, le bureau. Autour de moi les livres emmenés pour la résidence. Ceux choisis avant le départ et aussi ceux achetés dès le deuxième jour à la librairie de Saint-Claude, ceux empruntés à la bibliothèque, ceux commandés et reçus par la poste, et les textes courts imprimés après les avoir trouvés sur les revues électroniques. Se sentir prête à acheter une liseuse numérique.
Si on veut écrire on peut écrire
Si on veut lire on peut lire
On n’aime pas écrire et pourtant on devient écrivain
Si on veut on peut
Aujourd’hui, je ne sais pas écrire, pourtant j’ai lu des tas de livres
Collège Rosset - classe de Mme Gimazzane