Le hasard fait que ma résidence à Cinquétral correspond à l'Assemblée générale de la fédération européenne des Maisons de poésie en ce même lieu. Du coup je mets la main à la pâte et aux patates (on prépare les repas sur place). Belles rencontres avec les militants de la poésie - que je ne connaissais que de nom jusqu'alors. Comme dans toute les familles, on mesure les différences, les affinités, les diversités de moyens et mon étonnement que certains ne possèdent pas de sites ou le vivent encore comme un outil inerte - la crainte certainement que cela ne vienne remplacer le papier. Ou la peur d'une technologie qui peut être dévoreuse de temps. J'aime alors raconter l'aventure de Remue.net qui nous fait exister ensemble, malgré l'éloignement géographique, à une revue littéraire. Ce qui n'empêche pas de se retrouver pour de vrai - comme disent les enfants - le temps d'une soirée de lectures à Lyon ou Paris.
Malgré la diversité de nos enracinements littéraires et technologiques, les rencontres sont vivifiantes et me donnent l'occasion d'entendre pour la première fois la voix de Timothée Laine et celle de Jacques Moulin. Puis une discussion (plusieurs fois renouvelée pendant le week-end) qui nous mène des falaises d'Etretat à la mer absente du Jura. Le calcaire comme territoire commun, pourquoi pas.
Sans oublier la balade en raquettes sous les épicéas sombres puis sur les hauteurs enneigées dont je n'ai pas retenu les noms - va falloir que j'achète une carte. Et la surprise de lectures devant le muret qui marque la frontière franco-suisse en pleine forêt ou encore à la grande table de l'Ecomusée de la Chapelle-des-bois.
Et vient le dernier repas, quand la plupart ont rejoint voiture ou train, pris dans la cuisine de Saute-frontière à finir les restes, et le camarade Pierre Vieuguet qui nous dit l'histoire des humbles de l'île d'Ouessant : des femmes, ici, redressent chaque jour des pierres noircies pour inverser les vents. Et je pense alors à Rithy Panh qui pendant le tournage du film tiré de Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras a retrouvé les rizières de la dame blanche. Le nom resté dans la mémoire des paysans et qui redonne une vie à la femme, à la mère, qui a voulu retenir les eaux salées de l'océan.
S'inscrire dans la terre, dans le calcaire, dans le papier, à l'écran ... Cet entêtement des hommes et des femmes.
Dernière mise à jour dimanche 11 janvier.
La veille, j'ai traversé Saint-Claude avec mon groupe d'enfants qui notent et apprennent à regarder au plus près leur ville. Nettoie leurs yeux des buées de l'enfance. Je leur demande aussi d'écouter.
Je regarde également la ville, avec bienveillance, mais dans l'absence de lumière ce sont les vitres brisées, les terrains vagues, les camaïeux de brun et de vert qui s'imposent. La vacance de nombreux lieux. Je prends en photos un paysage bu par le gris du ciel, pas facile. De retour devant mon écran, je bidouille le rendu. Je transforme la photo en une fiction plus colorée, sur laquelle se détache nettement le A VENDRE, qui orne bien des fenêtres de la ville. Numériquement, je rajoute du contraste, de la chaleur et même du bruit (c'est le mot employé par mon logiciel). Le bruit de la lumière - j'entends.
Le lendemain, le soleil m'invite à sortir. Paradoxalement, je laisse l'appareil photo sur mon bureau. Je décide de rejoindre Longchaumois par la route. M'égare quelque peu dans la forêt, croise une biche sautillante qui pourrait aussi bien être un daim. Je m'émeus malgré tout. Dans la poche de ma parka, l'agenda noir et le stylo pour saisir en mots le présent. Et justifier ma balade un mardi matin. Je marche dans la neige qui craque différemment à chaque pas selon la terre, l'herbe ou le verglas dessous. J'écoute le bruit de mon avancée dans le paysage.
Traversant un pré enneigé où se découvrent par endroits des touffes d'herbes vertes - le temps est au redoux - j'entends un bruit singulier. Je m'arrête pour mieux écouter. Tente de noter le son exact de ce que je suppose être le craquement de l'herbe glacée. Je note le mot chant sur mon carnet mais le son est plus rauque, plus crépitant. Je note crépitement, craquement, craquellement ... je suis ravie d'entendre le bruit de la nature. J'ai presque du sang indien qui coule dans mes veines quand soudain je lève la tête et constate, dépitée, que ce sont les lignes de haute tension qui crépitent.
Je poursuis mon chemin. Cette expérience vient renforcer ma théorie comme quoi en littérature, tout est fiction. Que ce que l'on nomme autobiographie est la fiction qui nous est la plus familière. La plus proche, mais fiction tout de même. Si ne n'avais pas levé la tête, je serais rentrée avec la certitude d'une vérité alors que non. Et c'est avec enthousiasme que j'aurais répandu autour de moi l'évidence du chant de l'herbe glacée dans le Haut-Jura.
Mais si le chant de la terre vous démange tout de même, vous pouvez entendre des extrait du travail de Boris Jollivet ici . C'est un preneur de sons qui enregistre le chant des glaces, ceux des lacs gelés. Il écoute actuellement les lacs d'Etival pas très loin d'ici.
Dois-je lui conseiller de lever parfois le nez ? Oh et puis qu'importe ! Moi, le chant des glaces, j'ai très envie d'y croire.
Dernière mise à jour, mardi 27 janvier 2009 et une tentative sonore en cliquant ici
Ce soir tous les mots, les écrits et l'énergie des enfants embrouillés dans ma tête. Emplie de leurs regards en demande d'avenir, leur silence à distance, leurs bavardages emballés et leurs éclats de rire en saut d'obstacle, je me sens l'envie de repos.
Pas rien cette tentative de l'écriture avec d'autres. Leur mettre des mots à portée des yeux, de la main et de l'imaginaire. Tenir ferme l'emportement du groupe qui aime chercher le sens de la vie loin de la phrase. Et que tout de même l'une dit à l'autre qui s'agite beaucoup, que c'est une chose sérieuse que d'écrire sur sa ville.
L'arrivée de la pluie qui nous fait raccourcir la sortie juste après le pont et emprunter le chemin le long du cimetière parce qu'écrire sous la pluie ça vous mouille les mots inutilement. Et l'un d'entre eux, un joyeux avec du désir de vivre jusqu'au bout des pieds qui me dit qu'il va écrire sur son copain qui habite là. Je m'étonne puisque nous longeons un cimetière. Il précise que c'est un copain mort et il me raconte, à demi-mots, une bagarre, un coup de couteau et un enfant mort pour une histoire de scooter. Je sens de la gêne dans le reste du groupe, je n'insiste pas. L'histoire a fait du tort au collège, j'ai cru comprendre. Et un jeune qui tue un autre jeune, il faut déplier beaucoup de pages pour que cela soit supportable. Mais le jeune aux yeux en sourire continue et me dit qu'il va mettre son copain dans le texte pour lui faire plaisir. Je lui dis que c'est une bonne idée. Il n'est pas vrai que les morts veuillent toujours gésir en paix.
Plusieurs jours à faire ce voyage de l'atelier d'écriture pour des enfants et des adolescents, travail qui me fait rentrer à l'appartement avec un tourbillon de mots, de cris, de gestes en boucle dans ma tête. Palimpseste de visages qu'il faut mettre un moment à distance pour retrouver le fil du texte laissé en jachère depuis quelques jours. Allumer l'écran ou ouvrir la page du carnet. Rassembler les sensations et les mettre à l'écart sur les lignes du blog. Les donner à regarder par d'autres. Se poser à l'intérieur de soi pendant que la neige renvoie la nuit loin dans le paysage.
Dernière mise à jour - jeudi 12 février 2009 et des nouvelles des ateliers ici