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La trace bleue

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La veille, j'ai  traversé  Saint-Claude avec mon groupe d'enfants qui notent et apprennent à regarder au plus près leur ville. Nettoie leurs yeux des buées de l'enfance. Je leur demande aussi d'écouter.

Je regarde également la ville, avec bienveillance, mais dans l'absence de lumière ce sont les vitres brisées, les terrains vagues, les camaïeux de brun et de vert qui s'imposent. La vacance de nombreux lieux. Je prends en photos un paysage bu par le gris du ciel, pas facile. De retour  devant mon écran, je bidouille le rendu. Je transforme la photo en une fiction plus colorée, sur laquelle  se détache nettement le A VENDRE, qui orne bien des fenêtres de la ville. Numériquement, je rajoute du contraste, de la chaleur et même du bruit (c'est le mot employé par mon logiciel). Le bruit de la lumière - j'entends.

Le lendemain, le soleil m'invite à sortir. Paradoxalement, je laisse l'appareil photo sur mon bureau. Je décide de rejoindre Longchaumois par la route. M'égare quelque peu dans la forêt, croise une biche sautillante qui pourrait aussi bien être un daim. Je m'émeus malgré tout. Dans la poche de ma parka, l'agenda noir et le stylo pour saisir en mots le présent. Et justifier ma balade un mardi matin. Je marche dans la neige qui craque différemment à chaque pas selon la terre, l'herbe ou le verglas dessous. J'écoute le bruit de mon avancée dans le paysage. 

Traversant un pré enneigé où se découvrent par endroits des touffes d'herbes vertes - le temps est au redoux -  j'entends un bruit singulier. Je m'arrête pour mieux écouter. Tente de noter le son exact de ce que je suppose être le craquement de l'herbe glacée. Je note le mot chant sur mon carnet mais le son est plus rauque, plus crépitant. Je note crépitement, craquement, craquellement ... je suis ravie d'entendre le bruit de la nature. J'ai presque du sang indien  qui coule dans mes veines quand soudain je lève la tête et constate, dépitée, que ce sont les lignes de haute tension qui crépitent.

Je poursuis mon chemin. Cette expérience vient renforcer ma théorie comme quoi en littérature, tout est fiction. Que ce que l'on nomme autobiographie est la fiction qui nous est la plus familière. La plus proche, mais fiction tout de même. Si ne n'avais pas levé la tête, je serais rentrée avec la certitude d'une vérité alors que non. Et c'est avec enthousiasme que j'aurais répandu autour de moi l'évidence du chant de l'herbe glacée dans le Haut-Jura.

Mais si le chant de la terre vous démange tout de même, vous pouvez entendre des extrait du travail de  Boris Jollivet ici . C'est un preneur de sons qui enregistre le chant des glaces, ceux des lacs gelés. Il écoute actuellement les lacs d'Etival pas très loin d'ici.

Dois-je lui conseiller de lever parfois le nez ? Oh et puis qu'importe !  Moi,  le chant des glaces, j'ai très envie d'y croire.

Dernière mise à jour, mardi 27 janvier 2009 et une tentative sonore en cliquant ici