[le site de Fabienne Swiatly ]

Les bleus de l'enfance parce que jouer peut-être dangereux.

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Parfois cela ne vient pas l''écriture. Les mots s'alignent sur l'écran avec le sentiment qu'ils ne m'appartiennent pas. Rien à dire peut-être.  Malgré ma visite à l'atelier de sérigraphie à la Maison du peuple de Saint-Claude. Lieu où je me sens bien. Pour son ambiance atelier  (outils, matériaux qui se mêlent aux objets exposés), ses fenêtres ouvertes sur la ville... Pour Michel Bastien, le responsable du lieu avec sa gentillesse un peu bougonne quand il ne vous connaît pas.  Mais très vite il vous donne à partager son enthousiasme pour le livre, l'image.  Et va jusqu'à lire et interpréter les livres-objets exposés ici et fabriqués des élèves.

Oui, je devrais pourvoir raconter aussi la conversaiton et les gâteaux échangés avec Dominique Lacoudre,  peintre nantais en résidence depuis quelques semaines  et qui travaillait, ce jour-là, à un  kamishibaï, théâtre de papier... . Oui il faudrait que j'écrive plus longuement sur la maison du Peuple de Saint-Claude, mais la force de son histoire humaine m'effraie.  Me tétanise. Comment saisir en quelques mots ce qui fut une longue et belle histoire de coopérative ouvrière, de militance, de partage ? Ne pas réduire à quelques clichés la belle aventure humaine. Il me faudrait une fiction pour oser donner à lire une telle histoire. Alors quelques photos, ci-dessous, pour raconter un peu le lieu. Sans les mots. Les mots qui reviendront, je le sais. Mais la peur tout de même de se perdre en leur absence.

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L'été du livre à Metz - Vendredi 5 juin. J'attends le chaland au stand 110. J'ai le vain espoir d'y croiser un ou une amie de l'époque où je fréquentais par intermittence le lycée Robert Schuman. Personne. Pour passer le temps je note les attitudes de ceux qui s'arrêtent devant ma pile de livres. D'abord deux collégiens qui collectionnent les autographes (au cas où nous serions ou deviendrions célèbres). Puis régulièrement, des gens passent,  feuillettent mon livre, lisent la quatrième de couv', le reposent et me disent merci. Je réponds de rien, ce qui est l'expression la plus adaptée à la situation. Avant de s'éloigner, il jette un regard plus ou moins discret sur mon visage (vérifier à quoi ressemble une écrivain).
Une dame, la cinquantaine active, se souvient d'avoir lu un article sur mon livre dans le Républicain Lorrain. Me sourit et s'en va. Une femme âgée, habillée très chic mais la bouche pleine de chicots me demandent quand François Koltès sera là. Sa pile de livres jouxte la mienne, il sera présent dimanche. Je donne l'information à la dame qui trouve très embêtant son absence. Derrière moi, un auteur d'héroic fantasy passe énormément de temps à discuter avec des jeunes garçons passionnés. Je ne comprends rien à leur conversation. Sur le stand des auteurs auto-édités, beaucoup de monde.
Les ados feuillettent souvent Boire. La couverture très BD attire leur regard. L'absence de dessins à l'intérieur doit  les décevoir car ils ne l'achètent pas. On me prévient que la lecture d'Une femme allemande aura lieu à la Librairie à 17h30. Il est 15h, je m'ennuie ferme. Quelqu'un me demande ce que je pense du livre de François Koltès. Je donne mon avis sur ce livre que j'ai lu et apprécié, il y a quelques mois. Je précise que je ne suis pas François Koltès. Cela ne fait rire personne. Malgré le whisky et le vin blanc bus avec l'incroyable Jean Favier ce midi (il va me décerner le prix Marianne dans quelques heures), je ne somnole pas. J'écris tout de même : au bout d'une heure, tout écrivain qui ne signe pas un livre, s'affaisse de 10 cm. Je m'interroge sur l'omniprésence des livres de Didier Decoin, presque une table pour lui tout seul. Serait-il mort ? Un homme très bronzé, chemise ouverte sur une croix dorée et un médaillon de la Vierge Marie achète mon livre, mais me prend pour une vendeuse. Une dame me salue, elle ressemble incroyablement à Marguerite Duras. Elle me demande si je suis de la famille d'Alfred Swiatly, avocat à la Chambre de Metz. Pour la cinquième fois aujourd'hui, je réponds non à cette question.
La couverture blanche de la Fosse Ours résiste mal aux nombreux attouchements des visiteurs. Une dame me dit qu'elle aurait volontiers acheté mon livre s'il avait été écrit en allemand. Encore une fois, je dis : non, François Koltès ne viendra pas aujourd'hui. Une suite d'hommes cravatés avancent sous le crépitement des appareils photos. Je suppose l'arrivée du maire et ses adjoints. Yasmina Khadra (parrain du festival) les suis timidement). Un bel homme s'approche de moi, me sourit, lit mon nom sur le présentoir, s'excuse et s'éloigne en rougissant. Quelque chose vient de m'échapper. Jacques Fourès de la librairie Géronimo m'annonce qu'il va être temps de se rendre à la lecture. J'aurais vendu un livre et signé deux autographes (à des collégiens) en presque quatre heures. L'auteur d'héroic fantasy discute avec un nouveau groupe de jeunes. Il a l'air content. 

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Ils ont la vingtaine, garçons et filles qui ont choisi la filière des arts du bois. C'est un lycée professionnel tout près du lac de Vouglans et moi j'arrive avec Journal d'un manœuvre de Thierry Metz : Ici on a les gestes du nomade, on est en dehors, sur le sable. Dans le provisoire. Comment habiter un tel lieu ? Quatre heures d'atelier par jour pendant cinq jours. Et cette belle entente car le travail du bois et de l'écriture exigent des gestes qui nous sont communs. On s'apprivoise et tout avancera avec une belle sérénité jusqu'à la lecture du vendredi avec des textes et photos exposés. Travail en noir et blanc autour du geste. Un peu moins à l'arrache qu'en d'autres lieux qui réclament du corps à corps, autre forme d'énergie, mais parfois aussi le travail lent et patient peut donner du résultat. Pas toujours bosser en force. Ces étudiants viennent d'Alsace, de Paris, de Slovénie, des bords du Doubs ou encore du bitume, certains viennent de petits territoires qui étouffent ou de l'atelier du père, de la mère - ils l'ont écrit. Le sentiment de se comprendre et de mener à bien l'atelier, autre mot commun à notre pratique. Quand il sera l'heure de partir, je serais sereine à conduire entre Jura et Savoie avec Mansfield Tya et Yello en fond sonore. Le sentiment du travail bien fait (mérité ?). Se sentir si vivante que mourir ne fait plus peur. 

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Je viens d’un village nommé Briffons éloigné de toute civilisation, avec plus de vaches que d’habitants. Je viens du béton et de la grisaille. Je viens de mondes que tout oppose. Je viens des voyages et des rencontres. Je viens de l’égoïsme et la générosité. Je viens du milieu, le milieu qui sépare la famille, le milieu des choix, des ennuis, des envies. Je viens des cours de solfège, ennuyeux et obligatoires. Je viens des exercices de piano. Je viens d’une envie de vivre une autre vie. Je viens de la musique, enfermée dans ma chambre. Je viens des parcours accrobranches, du canyoning, du kayak, du ski, des parcs d’attraction, des centres aérés et des colonies de vacances. Je viens des crayons de couleur, du papier, du stylo à bille, à encre.

Je viens de Crépey, Colombey, de Nancy, de Paris et de Moirans. Je viens d’une campagne et d’une famille que je fuis. Je viens d’un petit bout de terre qui m’a souvent étouffée. Je viens de  Lyon et des ses environs. Je viens d’une grande maison et d’un jardin sans fin dans lequel on se perd et on s’évade. Je viens d’un atelier de sculpture et de vernissages à répétition, d’une maison délabrée prête à être retapée.

Je viens du chantier et d’une envie de fabriquer.

Je viens du chlore et du sel, des étendues d’eau, des sources et des cascades.

Lycée des arts du bois, Pierre Vernotte, Moirans-en-montagne

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Journal du bord 2 (début mars ) - Je ne voulais pas tenir de journal et pourtant, je note, j'écris. J'ai ouvert un cahier. Je cherche encore la bonne entrée. Le terme journal DU bord, m'intéresse particulièrement car je m'interroge : Nous sommes au bord de quoi ? Six semaines. Le confinement pourrait durer six semaines. Écrire. Habiter l'inconnu. L'éloignement des autres. Quelque chose a lieu qui n'a encore jamais existé dans mon parcours de vie. C'est éprouvant. C'est excitant aussi. Avec lui, nous écoutons la radio toute la journée et le sort de l'Italie avec ses trois semaines d'avance nous intéresse particulièrement. Je fais d'étranges rêves et je n'ai rien trouvé de mieux que de lire la terrible nouvelle d'HP Lovecraft, La Malédiction de Sarnath.

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Journal du bord 3 (début mars) - Rituel du matin : ranger la roulotte (4 mètres carrés supportent mal le désordre) un peu de gym puis écrire. Il me semble avoir du temps. Un vrai temps devant moi. Sans aucune contrainte et même si je ne trouvais pas à l'occuper ce temps, je ne me sentirais pas coupable. Après l'écriture (Trois fois Saïd et ce bref journal) j'envoie un message à un ou une amie. Un message que je prends le temps de rédiger. Pas envie de téléphoner. J'essaie d'écouter un peu moins la radio. Les mêmes messages qui sèment de l'anxiété. Logorrhée des chiffres et des mauvaises nouvelles. J'ai arrêté aussi de lire H.P. Lovecraft - les messagers de l’apocalypse sont déjà assez nombreux sur les ondes. Je ne sais pas pourquoi, j'aimerais relire Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. 

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