20 heures d'atelier d'écriture avec une classe de 3ème insertion professionnelle au lycée Casanova de Givors où je suis en petite résidence jusqu'au 15 février. Des élèves qui seront tous orientés en classe professionnelle l'an prochain. Pour parler de l'atelier, ils utilisent une expression que j'aime beaucoup : faire écrivain. L'atelier est très sympa, même s'il faut lutter parfois contre le ventre mou du groupe. La posture du strict minimum où répondre à la consigne serait le seul enjeu : ben quoi, j'ai écrit. Alors je me démène, presque physiquement, pour qu'ils investissent l'écriture. Qu'ils en fassent leur objet, alors qu'écrire quelques lignes, c'est déjà beaucoup pour certains. Avec ce groupe, j'ai été dépositaire de nombreuses confidences. Leurs vies déjà traversées par bien des problèmes : décès des parents, abandon, placement en foyer, et leur corps qu'ils mettent, à quinze ans, dangereusement à l'épreuve avec des cachets, de l'alcool ou des lames de couteau. Et je les invite à transcender leur histoire par l'écriture. Et des moments forts comme avec ce court texte de Dalila dont le parti pris est très fort et singulier :
"Le bar… un endroit de recueil pour les enfants de la culpabilité, de l’angoisse et de la déprime. Un endroit de péché mais de plaisir. Un endroit qui fait peur aux mamas dont les fils y prennent leur petit-déjeuner, leur déjeuner et leur dîner. Un endroit de paix pour les fils dont les mamas s’inquiètent. Les seuls mots qu’on s’attend à entendre lorsqu’on est jamais entré dans ce genre d’endroit, c’est : salopard, connard, sors de mon bar !"
Des hommes, des femmes, des pays : Turquie, Espagne, Arménie, Russie, Tunisie, Algérie… autour d’une table. Centre social de Givors, cours de français qui se transforme en atelier. Dire la nouvelle langue qu’il faut apprendre. Dire ce que son corps, sa mémoire, son âme contiennent avec quelques mots à l’étroit du nouveau vocabulaire.
Moi je parle mal le français,
Je rassemble les mots pour faire une phrase.
Je parle un français cassé avec des mots tout cassés.
Ma fille m’apprend.
Il faut parler français pour habiter ici.
Ils savent déjà très bien ce que l'on s'obstine à vouloir leur apprendre. Les désigner comme ignorants pour les rejeter en dehors de nos frontières. Nos vieilles frontières. Ceux qui payent très chers pour venir vivre ici, pour une vie dure, comme ils ont écrit.