[le site de Fabienne Swiatly ]

Le métallisé des eaux profondes, le bleu glacé des torrents.

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Emmener un groupe d'adolescents dans un musée, pour une visite libre. Les emmener rien de plus simple du moment qu'on les arrache à leur table de classe, leur lycée. Tout est  bon à prendre  pourvu qu'il n'y ait pas cours. Ecole buissonnière. Pas un vrai défi pour l'adulte que de les faire adhérer à une sortie. Mais comment faire pour qu'ils se sentent concernés par ce qu'ils vont voir ? 
 Derrière nous trois séances d'atelier, de prises de notes, d'écriture, de lectures, d'échanges.  L'enseignante souligne que j'ai plusieurs fois répété qu'ils ne devaient pas laisser les autres mettre des mots à leur place dans leur bouche, dans leur tête ou dans leurs écrits.
Je souris.
Pendant le trajet, j'échange avec certains, pour en savoir plus sur leur quotidien. Pas facile, une grande méfiance de l'adulte et comme une absence de mots, justement. Une élève me dit être trop contente de voir autre chose que d'habitude. Je souris à nouveau.
Dans le musée, ils acceptent de se mettre devant un tableau et de le décrire jusqu'à épuisement. A l'arrivée un texte pas forcément intéressant en l'état, mais un moyen de se concentrer sur ce qu'ils voient. Et eux de s'étonner des épaisseurs de peinture, des différents niveaux de lectures, de détails qui apparaissent dans le tumulte des couleurs.  Ils posent beaucoup de questions. L'une écrit : des peintres qui travaillent à l'arrache, d'autres qui veulent tout mesurer, cadrer. Besoin de cadrer les choses.
Et dans le groupe toujours un ou une élève qui découvre le plaisir de l'énumération. Ne veut plus s'arrêter. S'étonne de pouvoir remplir aussi facilement plusieurs pages de carnets. Le plaisir de remplir, de mettre du noir sur du blanc, de se relire. 
Les mots de Georges Perec me reviennent comme une évidence :  Au départ tout semble simple, je voulais écrire, et j’ai écrit. A force d’écrire, je suis devenu écrivain.
Le Musée des beaux arts de l'Abbaye a ouvert ses portes, il y a peu. C'est un endroit très beau qui attrape la lumière avec douceur même les jours gris. De grandes fenêtres s'ouvrent sur la ville de Saint-Claude et le paysage. Je m'y sens bien, les élèves aussi. La gardienne se mêle au groupe, donne des précisions sur les  peintures, les artistes. 
Pendant 1h30, ils vont noter ainsi. Sans chahuter. Puis c'est à même le sol du cloître de l'Abbaye, entourés de fresques du XIVème, d'ossements de moines, de phrases latines que nous lisons nos notes dont cette phrase que j'ai eu le temps de noter à mon tour : quelque chose ressort des tableaux. On dirait que quelqu'un vient nous parler à l'oreille.
Je souris encore.  
Dernière mise à jour le vendredi 6 février 2009  et lire aussi sur Gandrange ici
 

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Le soleil a bien voulu quitter les sommets et descendre jusqu'au rez-de-chaussée des maisons, repliées longtemps sur l'hiver. Le froid a du mal à se détacher des murs - gris glacé. Marcher en suivant la lumière, rester sur le trottoir aux promesses de printemps.  Photographier.  Appuyer sur le déclencheur sans avoir vraiment vu. Rater beaucoup de photos. Se rassurer avec le déclic de l'appareil. Être en action. Agir. Marcher.

Monter, descendre des passages en escalier. Croiser des regards curieux. La ville est petite. J'y serre plus souvent des mains qu'à Lyon. Marcher, déclencher le clic. Tâtonner des yeux jusqu'à la lassitude.

Puis sur les hauteurs, alors que l'ombre a rejoint la rue, remarquer le cimetière en contre-bas. Et comme à chaque fois, la même question qui me vient sans que je parvienne à en préciser la cause mais obsédante : où serais-je enterrée à ma mort ?

Cela me renvoie à ma non-appartenance à un lieu, à une terre même si je réside depuis longtemps à Lyon.

L'essentiel de ma famille est enterrée à Amnéville en Lorraine - Le seul endroit où je ne voudrais pas être ensevelie. Donc enterrée ailleurs forcément, oui mais où ? Est-ce cela le nomadisme, ne rien savoir du lieu où le corps sera mis au repos ?

Dans toutes les villes en France et à l'étranger je visite les cimetières. Je lis les noms sur les stèles et les plaques. Je repère les traces de l'histoire, les Arméniens d'Alfortville, les aventuriers mexicains de Barcelonnette, les morts pour la France malgré eux, les fosses communes avec l'absence de date de naissance, les grandes familles qui en imposent jusque dans la hauteur du caveau, les médaillons aux photos décolorées... Et dans les allées marchant lentement me dire à chaque fois  : Je ne suis pas d'ici.

Peut-être faudrait-il aller en Pologne, à Cracowie. Sûrement mon nom de famille sur de nombreuses tombes avec l'orthographe  d'origine : Światły. Mais cela ne changerait rien. En Pologne aussi, je ne suis pas d'ici. Plus d'ici.

Peut-être sont-ce les enfants qui désignent le lieu où... Mes enfants qui arrêteront l'exode pour signifier que la fin est ici. Je ne sais pas. D'ailleurs je ne sais pas pourquoi la question m'obsède. Elle ne m'attriste pas, elle semble contenir une réponse qui pourrait m'aider à comprendre quelque chose des origines. Savoir où je pourrais être enterrée ne signifiant pas que je le voudrais. Juste savoir si le lieu où je m'arrêterai, sera un lieu choisi.

J'ai éloigné la question et repris l'appareil photo. Le cimetière était déjà dans l'ombre, j'ai photographié tout de même. Puis j'ai constaté que de nombreux lycéens l'utilisaient comme raccourci pour rejoindre le centre-ville. Il m'a semblé qu'un cimetière traversé par des jeunes était une bonne chose - oui mais pour qui ?
 
Mis à jour le 1er février 2009

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 E  C  R  I  V  A  I  N    E  N     G  R  E  V  E

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La veille, j'ai  traversé  Saint-Claude avec mon groupe d'enfants qui notent et apprennent à regarder au plus près leur ville. Nettoie leurs yeux des buées de l'enfance. Je leur demande aussi d'écouter.

Je regarde également la ville, avec bienveillance, mais dans l'absence de lumière ce sont les vitres brisées, les terrains vagues, les camaïeux de brun et de vert qui s'imposent. La vacance de nombreux lieux. Je prends en photos un paysage bu par le gris du ciel, pas facile. De retour  devant mon écran, je bidouille le rendu. Je transforme la photo en une fiction plus colorée, sur laquelle  se détache nettement le A VENDRE, qui orne bien des fenêtres de la ville. Numériquement, je rajoute du contraste, de la chaleur et même du bruit (c'est le mot employé par mon logiciel). Le bruit de la lumière - j'entends.

Le lendemain, le soleil m'invite à sortir. Paradoxalement, je laisse l'appareil photo sur mon bureau. Je décide de rejoindre Longchaumois par la route. M'égare quelque peu dans la forêt, croise une biche sautillante qui pourrait aussi bien être un daim. Je m'émeus malgré tout. Dans la poche de ma parka, l'agenda noir et le stylo pour saisir en mots le présent. Et justifier ma balade un mardi matin. Je marche dans la neige qui craque différemment à chaque pas selon la terre, l'herbe ou le verglas dessous. J'écoute le bruit de mon avancée dans le paysage. 

Traversant un pré enneigé où se découvrent par endroits des touffes d'herbes vertes - le temps est au redoux -  j'entends un bruit singulier. Je m'arrête pour mieux écouter. Tente de noter le son exact de ce que je suppose être le craquement de l'herbe glacée. Je note le mot chant sur mon carnet mais le son est plus rauque, plus crépitant. Je note crépitement, craquement, craquellement ... je suis ravie d'entendre le bruit de la nature. J'ai presque du sang indien  qui coule dans mes veines quand soudain je lève la tête et constate, dépitée, que ce sont les lignes de haute tension qui crépitent.

Je poursuis mon chemin. Cette expérience vient renforcer ma théorie comme quoi en littérature, tout est fiction. Que ce que l'on nomme autobiographie est la fiction qui nous est la plus familière. La plus proche, mais fiction tout de même. Si ne n'avais pas levé la tête, je serais rentrée avec la certitude d'une vérité alors que non. Et c'est avec enthousiasme que j'aurais répandu autour de moi l'évidence du chant de l'herbe glacée dans le Haut-Jura.

Mais si le chant de la terre vous démange tout de même, vous pouvez entendre des extrait du travail de  Boris Jollivet ici . C'est un preneur de sons qui enregistre le chant des glaces, ceux des lacs gelés. Il écoute actuellement les lacs d'Etival pas très loin d'ici.

Dois-je lui conseiller de lever parfois le nez ? Oh et puis qu'importe !  Moi,  le chant des glaces, j'ai très envie d'y croire.

Dernière mise à jour, mardi 27 janvier 2009 et une tentative sonore en cliquant ici

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 Tempête - Vent et pluie qui obligent à se concentrer. A se mettre au chaud devant l'ordinateur comme  devant l'âtre, en d'autres temps.

J'avais prévu de faire des photos à Saint-Claude, quelques friches industrielles repérées pendant d'autres balades, mais il me faut renoncer. Mon appareil  photo craint autant la pluie que moi. 

Depuis ce matin le vent secoue les fenêtres et je me sens traversée par un  texte que je ne parviens pas à commencer. Quelque chose voudrait s'écrire mais je suis méfiante. Je viens juste de clore un chantier Neuf scènes pas ordinaires de la vie d'une femme. Soixante pages archivées, mises  au rebut - Seul un texte-reliquat sur Remue.net  ici 

Pas facile d'abandonner un chantier - cela ira mieux quand je comprendrai pourquoi. Soixante pages représentent plusieurs dizaines d'heures de travail. Je voudrais recommencer autre chose mais comme une crainte. La peur de l'emphase et me reviennent les paroles de La Bruyère que j'avais proposées en lecture à l'atelier de la bibliothèque  « Pour dire : il pleut, dites  il pleut » et à qui Béatrice Beck aurait pu répondre  « Pas de mots plus grands que les choses ». Et je me sens  aujourd'hui avec des mots trop grands au bout des doigts. 

Une envie forte de retourner en lecture -  Le noir du ciel de Mary-Laure Zoss aux éditions suisses Empreintes qui m'attend à côté de l'ordinateur. Très envie de faire un article tant j'aime l'ambiance (à lire ici sur Poezibao). Le boueux des jours et des nuits avec le travail de la ferme. J'aimec ette poésie  qui cherche jusque dans l'ammoniaque des étables :

du dehors on ne voit rien, le tube en haut éclaire comme une toile de suie, un reste de lumière serrée entre les planches pour rendre sa clarté, Dieu ne vient pas jusque là, se tient de l'autre côté des arbres, même si c'est pas ce qu'on raconte, sous le noir constellé du ciel;

Et pour en revenir à l'essentiel de ma journée que je vais écrire au plus simple de la langue : il pleut !

Des nouvelles des ateliers en cliquant ici  

Dernière mise à jour vendredi 23 janvier 

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La photo date de vendredi - la lumière était encore bonne. Depuis la pluie a réduit le paysage dans la vitre. Photographier Saint-Claude pour mieux la saisir presque un pléonasme mais le cadre m'aide à y voir mieux sinon je m'égare, je me perds. Mes yeux ont du mal à se mettre au repos dans le vaste d'un lieu habité. Je me sens comme une enfant gourmande, je voudrais tout, tout de suite.
Regardant la photo, je me dis que c'est une ville qui s'accroche et cela fait écho aux difficultés économiques que connait Saint-Claude, le travail qui ne se trouve plus si facilement. Mais ce que j'écris-là, je ne l'ai pas vérifié, ce sont des paroles entendues ça et là.
La ville s'accroche, s'obstine à ses bouts de montagne, s'entête à rester dans le paysage resserré. On voudrait lui demander pourquoi ? Alors je vole quelques bouts de réponses aux élèves de primaire que j'ai eu en atelier ce matin à l'école du Faubourg :
Notre ville est habitée de montagnes -  Il y a une usine Manzoni Bouchot, mon papa y travaille il est chef de nuit  - S'il n'y avait pas Saint-Claude, où j'habiterais ?  -  Et cette phrase que je recopie telle que avec sa force maladroite : Ne pas se laisser emporter par le noir de cette ville car au fond, une des plus grandes lumières y habite. 
Et il y a cette liste écrite par un autre élève que je pourrais suivre pour me rapprocher  mieux de la ville aux 13 000 habitants :  il y a des bâtiments de 11 étages, de la couleur gris-blanc, des arbres petits-grands, de la couleur marron-jaune-vert, il y a la maternelle, le lycée, le collège, il y a des cascades, des bancs, des trottoirs avec des petits trous qui glissent, il y a des montagnes noir-marron sans feuilles, de la neige blanche, il y a des usines, le Tacon, la Bienne, la cathédrale impressionnante, la bibliothèque et le stade de Serger... Saint-Claude habite dans la forêt. 
Le soir-même dans un journal local, je lis que l'usine Manzoni-Bouchot Fonderie - dont j'ai entendu le nom prononcé des dizaines de fois depuis mon arrivée, devrait mettre ses salariés au chômage technique 2 jours en janvier et 9 en février. J'espère que le chef de nuit sera épargné...
Dernière mise à jour lundi  19 janvier 2009
 

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Petit à petit, je prends le temps de visiter Saint-Claude, la ville que je ne connaissais pas jusqu'alors. Celle que je nomme la belle rugueuse tant elle ressemble aux cuisses d'une femme hésitante avec le refermé le long de la montagne et l'ouverture mouillée sur la rivière : la Bienne. Je n'ai pas pris le temps encore de faire des photos car souvent dans la ville je frissonne, à cause du froid ou plutôt de l'ombre des rues d'en bas.
En bas/en haut, ceux d'en haut/ceux d'en dessous... Des mots qui reviennent souvent dans la bouche des habitants qui du coup fixent la forme de leur ville. Le haut et le bas comme Berlin qui se définit encore par l'est et l'ouest.
Une ville qui offre des jeux d'ombre et de lumière qu'il faut apprivoiser comme les sautes d'humeur d'un cyclothymique. Alors je m'imprègne selon l'heure de la journée ou le temps qu'il fait, de sensations physiques sans chercher encore à comprendre, à nommer, à analyser, même si des livres érudits m'attendent à la bibliothèque et à la Maison de la poésie. Aussi pour préserver une certaine naïveté quand j'anime mes ateliers.
Car depuis quelques jours, j'anime des ateliers dans différentes classes du primaire et aussi un lycée professionnel (lire ici).
Je dois avouer que cela nécessite chez moi une forte présence physique pour être à la fois attentive au groupe et à la personne. Bien sûr que j'aime cela, transmettre une écriture vivante mais il n'empêche que c'est crevant.
Mes frères ouvriers me diraient que c'est bien le moins que d'être fatigué par le travail et je leur répondrais simplement que c'est la fatigue physique qui m'étonne. Et je trouve que l'expression trouvée par un participant dans un de ses écrits, la chaufferie de l'imaginaire, correspond bien à ce qui se passe dans un atelier. Il existe un livre de Philippe Berthaut intitulé la Chaufferie de la langue. concernant les ateliers d'écriture.
Dernière mise à jour - jeudi 15 janvier 2009.

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Le hasard fait que ma résidence à Cinquétral correspond à l'Assemblée générale de la fédération européenne des Maisons de poésie en ce même lieu. Du coup je mets la main à la pâte et aux patates (on prépare les repas sur place). Belles rencontres avec les militants de la poésie - que je ne connaissais que de nom jusqu'alors. Comme dans toute les familles, on mesure les différences, les affinités, les diversités de moyens et mon étonnement que certains ne possèdent pas de sites ou le vivent encore comme un outil inerte - la crainte certainement que cela ne vienne remplacer le papier. Ou la peur d'une technologie qui peut être dévoreuse de temps. J'aime alors raconter l'aventure de Remue.net qui nous fait exister ensemble, malgré l'éloignement géographique, à une revue littéraire. Ce qui n'empêche pas de se retrouver pour de vrai - comme disent les enfants - le temps d'une soirée de lectures à Lyon ou Paris.

Malgré la diversité de nos enracinements littéraires et technologiques, les rencontres sont vivifiantes et me donnent l'occasion d'entendre pour la première fois la voix de Timothée Laine et celle de Jacques Moulin. Puis une discussion (plusieurs fois renouvelée pendant le week-end) qui nous mène des falaises d'Etretat à la mer absente du Jura. Le calcaire comme territoire commun, pourquoi pas.

Sans oublier la balade en raquettes sous les épicéas sombres puis sur les hauteurs enneigées dont je n'ai pas retenu les noms - va falloir que j'achète une carte. Et la surprise de lectures devant le muret qui marque la frontière franco-suisse en pleine forêt ou encore à la grande table de l'Ecomusée de la Chapelle-des-bois.

Et vient le dernier repas, quand la plupart ont rejoint voiture ou train, pris dans la cuisine de Saute-frontière à finir les restes, et le camarade Pierre Vieuguet qui nous dit l'histoire des humbles de l'île d'Ouessant : des femmes, ici, redressent chaque jour des pierres noircies pour inverser les vents. Et je pense alors à Rithy Panh qui pendant le tournage du film tiré de Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras a retrouvé les rizières de la dame blanche. Le nom resté dans la mémoire des paysans et qui redonne une vie à la femme, à la mère, qui a voulu retenir les eaux salées de l'océan.

S'inscrire dans la terre, dans le calcaire, dans le papier, à l'écran ... Cet entêtement des hommes et des femmes.

Dernière mise à jour dimanche 11 janvier.

 

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Cinquétral. Résidence. Jura. Neige. Froid. Verglas. Je prends mes marques. Je m'acclimate. Je vais passer cinq mois dans une maison au coeur d'un petit village à plus de 900 mètres d'altitude ; accueillie par Saute-frontière et la Maison de la poésie Transjurasienne. Ateliers d'écriture, lectures, échanges... Haut-Jura.

Depuis que je suis là, je sens combien je suis réglée sur le rythme des grandes villes. New-york, Berlin m'ont moins effrayées que la traversée silencieuse des grandes étendues de neige au soir tombant, la ligne sombre des sapins qui rayent l'horizon alors que je tente de rejoindre le gîte par une route secondaire, l'autre étant coupée pour cause d'incendie.

Mais je sais que je vais m'habituer et prononcer Moré et non pas Morèze pour Morez. Je vais laisser faire la rencontre, elle m'intéresse. Je prends des notes, je prends des photos. Je tente de décrypter ce que l'on me raconte avec beaucoup de franchise. Les histoires de territoire, d'usines qui vont peut-être fermer, les néo-ruraux et ceux d'ici, les moutons qui auraient eu froids, les taiseux, les bavards, les intellectuels, les manuels, la plasturgie, la lunette, la pipe, les raquettes, le ski de fond, le chauffage au bois ou au gaz, la Cure avec sa frontière suisse, les tempêtes, les maisons à chauffer, les pauvres, les riches, Champion racheté par Carrefour ... J'écoute. Parfois la peur que tout cela ne fasse pas sens.

Et c'est dans la généreuse bibliothèque de la Maison de la Poésie, que je trouve une première réponse, C'est Agir écrire de Pierre Bergounioux publié en 2008 chez Fata Morgana qui m'attire l'oeil (celui qui pense). Le titre semble me rappeler à l'ordre. Et l'ouvrant je lis ces mots : La littérature est conscience du monde. Elle diffère de la philosophie en ce qu'elle ne renvoie ni au ciel des idées ni aux fondations enfouies de la métaphysique, et aussi de l'histoire, parce qu'elle s'écrit à hauteur d'homme, sous la lumière changeante et le vent fugitif du présent.


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C'était dans le train Lyon-Grenoble, je lisais un article dans Libération-papier, je précise papier tant il est devenu rare de voir quelqu'un lire le journal, hormis les gratuits. C'était le numéro double du 31 décembre et je lisais un article sur les attaques d'Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza. Je lis et souligne du feutre, les mots de la journaliste (son nom m'échappe mais c'était une femme) : elle évoquait le nombre limité de victimes civiles. De mémoire, il me semble que c'était ces mots-là.

Limité, j'en suis certaine. J'ai souligné car je ne parvenais et ne parviens toujours pas à accepter (assimiler) l'assemblage de mots. A qui est lié ce mot de limité. Qui a décidé la limite. Limite par rapport à l'ampleur possible du conflit ? Par rapport à un quota acceptable ? D'ailleurs j'ai oublié le chiffre (moins de 20 en tout cas - est-ce mon quota d'inacceptable ?). Je me souviens d'avoir relu le passage plusieurs fois avec la sensation désagréable que le mot n'était pas limité pour la famille, les amis et certainement pas pour les victimes. Un mort est un mort. Un futur fauché. Un avenir spolié. Pas de limites à l'insupportable. Et si je parvenais à comprendre la difficulté pour la journaliste à faire un raccourci pour exprimer le moins grave que prévu, malgré tout, le vocabulaire exprimait très exactement l'insupportable.

Ayant égaré mon Libération-papier, j'ai voulu ensuite retrouver sur le site l'article en question, pas trouvé et je me suis rendu compte que l'information évolue d'une autre manière sur le net que sur le papier. J'ai ressenti physiquement cette différence, et je ne saurais dire si c'est mieux ou pas, mais il y a bien un flux particulier sur le net qui est totalement différent que celui de l'imprimé. Il  exige un autre travail de la mémoire. Pourtant je suis une grande utilisatrice de l'outil. Mais en quête d'une information précise, soudain j'étais perdue. Je cherchai une information lue sur le journal papier le 31 janvier à 13 h et il a été avalé par le flux de l'information. C'était exactement cela, le nombre limité de victimes civiles du 31 décembre avait disparu dans le flux par contre le nombre de Palestiniens tués était à cette heure précise de 18h01 au 4 janvier 2009, limité à 40.

Sabine Bourgois me permet de rétablir la réalité et vérifier que je n'étais pas loin  :

La relève des déchets recyclables est pour demain, je suis donc descendue dans l'abri de jardin ouvrir un sac avant le jour fatidique, pour essayer d'y retrouver le Libé du 31 décembre. Ouf ! Il y était !
 Page 22 la correspondante à Jérusalem, Delphine Matthieussaent, mentionne en effet : "Après l'euphorie des premiers jours, marqués par la réussite de l'effet de surprise, la retenue des condamnations internationales et le nombre relativement limité de civils palestiniens tués par les frappes aériennes, le gouvernement israélien est maintenant confronté aux vraies questions." etc.. etc..
 Dans un encart à proximité de l'article intitulé "les faits du jour" on trouve des chiffres : "Les raids de l'aviation israéliennes ont fait 12 morts mardi à Gaza, portant le nombre de victimes palestiniennes en quatre jours à près de 370 morts (dont 60 civils) et 1700 blessés"

 

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Lundi prochain, le 5 janvier, je débute ma résidence dans le Jura à Cinquétral dans les hauteurs de Saint-Claude - Cinq mois en tout. Comme entrée en matière, cet extrait de la lettre de motivation que j'ai envoyée au CNL pour obtenir une bourse d'écriture (je n'ai pas encore la réponse, mais heureusement les militants du livre et de la littérature ont l'art de la débrouille. Et que ceux qui s'imaginent que les ouvriers de la culture (oui j'utilise volontairement le mot) sont des paresseux, qu'ils viennent jongler avec nos entrées financières à venir, en cours, en attente de - ils verront qu'il faut avoir les bras bien musclés pour ne pas tout laisser tomber) :

"Il est vrai qu’au départ, Saint-Claude n’exerçait pas une attraction particulière sur moi. Un sentiment vague d’une ville froide et sur le déclin. Lointaine. Rien de plus.
Quand l’association Saute-frontière m’a proposé une résidence, j’ai été voir de plus près ce que cette ville avait à me raconter. La brume s’est levée et j’ai découvert une histoire riche et singulière .
Il y a eu l’industrie lapidaire et diamantaire, et les friches laissées par l’industrie plasturgique qui a quitté l’étroit de la ville pour s’installer plus loin – au large. Cette rude mutation, je l’ai lue, je l’ai entendue et déjà entraperçue.

Et c’est cela qui m’intéresse : que suis-je en mesure de voir, d’entendre, de saisir d’une histoire qui n’est pas la mienne ?

Saint-Claude n’est pas une ville évidente, elle ne s’offre pas facilement aux nouveaux venus, mais j’aime les contacts rugueux. Je suis imprégnée depuis mon enfance par ces régions où le travail a permis et aussi enlevé, où le ciel n’a pas toujours l’évidence des beaux jours, où les hommes et les femmes font face à des géographies et des économies difficiles.
Et petit à petit, j’ai observé qu’il existait en ce lieu une vitalité, parfois bougonne et Saint-Claude m'intéresse particulièrement pour ces réalisations concrètes d'une utopie sociale : coopérative d'alimentation, syndicats, mutuelles, organisations culturelles...

Certaines personnes rencontrées lors d’une journée de sensibilisation organisée dans la ville, m’ont proposé des visites de friches, un accès à de la documentation, de partager leur histoire familiale... Je me suis sentie alors accueillie.

Mon regard aimerait aussi se porter plus loin, d’abord à flanc de montagne puis sur les hauteurs. Changer d’optique, et revenir à nouveau au plus près des habitants de la ville. Car eux aussi sont imprégnés par les hauteurs du paysage.

Le chantier que je souhaite mener pendant ma résidence devrait aboutir à un texte poétique dans la lignée de
Jusqu’où cette ville. Il sera nourri par mes ateliers d’écriture avec les habitants, adultes et enfants .
Je tiendrai également un journal de bord avec des photos que je conçois comme une autre forme de questionnement de l’histoire à travers le paysage rural et urbain.

Des lectures publiques sont prévues – et peut-être d’autres événements ou productions dont je ne sais rien là immédiatement car il est bon aussi de laisser faire la rencontre.

Aller vers et laisser venir. Je suis confiante."

Dernière mise à jour lundi 29 décembre 2008 dont les rendez vous à lire ici

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Malgré le ciel embrumé, la lumière grise et l'humide de l'atmosphère, je décide de passer ma matinée à prendre des photos. Je sais que les conditions sont mauvaises, je sais que je n'ai aucune envie précise, je ne suis portée par aucune nécessité, mais je m'oblige. J'ai besoin de bouger. Je dois bouger. Sur les trottoirs de l'avenue des Frères Lumière, du monde vaque - quelques magasins ouverts pour ce dimanche avant Noël. Les tenues sont noir-gris pour la plupart, quelques bonnets blancs ou rouges. Je suis contente d'avoir ma veste vert épinard. Le ciel forme un couvercle bas et enveloppant. Lumière difficile pour la photo. Ma présence dans cette rue n'a aucun sens.
Reste le tramway, l'envie de prendre la ligne Perrache/Saint-Priest, voir ce qu'il y a au bout. Espérer une photo. M'enfoncer dans l'ennui de ce dimanche assise au chaud. Du monde dans le Tramway, des familles maghrébines, deux types qui tètent leur canette de bière forte. A côté de moi, une fille très parfumée lit Closer, les écouteurs de son MP3 laisse échapper un grésillement pénible. Je sens une colère très violente en moi. Une envie de frapper. Je ne comprends pas cette agressivité. Mon impossibilité d'écrire, de photographier qui viendrait volontiers s'exprimer sur le visage de la fille. Je change de place. Le tramway avance lentement à travers un paysage ennuyeux de constructions anciennes ou en chantier. Immeubles, bureaux au milieu de champs et terrains boueux.
Sur les façades, quelques décorations festives et ces pères Noël affreux, accrochés aux fenêtres et aux balustrades. Des personnages maigres en tenue rouge qui ressemblent à des amants stupides ou des suicidés hésitants . Déprimant. Voilà, je suis déprimée. Sans pression intérieure.
J'arrive au terminus de la ligne, rien de particulier. Si ce n'est un grand champ avec sa rangée d'immeubles sur la ligne d'horizon. Je photographie. Ne pas m'étonner si à l'arrivée, j'obtiens des photos ternes. C'est un dimanche terne, je reprends le tramway dans le sens inverse.
Je pense à ma lecture de la veille, une compilation des textes de Cesare Pavese dont seuls me reviennent les titres les plus connus de son travail : Le métier de vivre et travailler fatigue.
Et que je résume, assise dans mon tramway par vivre me fatigue.
Heureusement, je sais que demain cela ira mieux. Ou après-demain quand ils auront enfin décroché les pères Noël suspendus.
Chez moi, je charge les photos prises. N'en conserve qu'une dizaine. A la radio, les infos évoquent l'attentat contre la mosquée de Saint-Priest et l'islamophobie en France. Tout à l'heure, j'étais à Saint-Priest, je ne savais rien de cet attentat. Je n'ai fait que photographier mes états d'âme.
Mise à jour dimanche 21 décembre ici et Obsession usine là 

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Ce matin j'ai lu Joël Bastard dans Livre et lire :

"J'étais ouvrier écrivain. L'écriture était pour ceux qui le savaient et qui me regardaient vivre, un loisir assumé financièrement. Aujourd'hui que je me consacre uniquement à cette activité, écrivain au caractère ouvrier et sans statut particulier, je cherche toujours un salaire chaque mois, mais c'est plus difficile (...) Pour avoir le temps de travailler l'écriture."

Des propos qui entrent en écho avec ce que j'ai écrit aujourd'hui sur le carnet de tous les jours : ils aiment que l'on déballe nos tripes, mais s'étonnent de nos airs affamés.

On peut se demander qui désignent le ils, forme généraliste dont je me méfie généralement, comme de dire les gens. Créer une masse méprisable pour mieux se faire exister soi. Pourtant la phrase est venue parce que j'ai passé ma semaine à réclamer de l'argent qui m'est dû à des personnes, des lieux, des associations, des entreprises qui me réduisaient à ce que je déteste le plus : celle qui réclame.... Ils forment du coup un un tout, un ensemble qui a du mal à lâcher mes frais de déplacement, mes droits d'auteurs, mes piges, mes honoraires. Un ensemble pour qui payer mon travail n'est pas une urgence. Chacun porteur d'une excuse plausible mais qui me relègue au même sentiment ancien, celui de la honte. De l'argent qui manque, du crédit qu'il faut demander auprès de l'épicier, des fringues usées et surtout le mépris que l'on a soi-même éprouvé pour son père parce qu'il ne sait pas gagner de l'argent alors qu'il travaille nuit et jour.

Du difficile d'être écrivain quand il n'y a pas le métier qui permet l'écriture. Parce que la semaine à téléphoner pour réclamer l'argent dû, fait de nous des colosses aux pieds d'argile. Pas tous les jours. Parfois on est fort, on est grand et tout simplement heureux quand le livre trouve un écho, quand dans un atelier un participant écrit les mots qui rendent le monde visible, quand la littérature aide à se tenir debout, à faire tenir debout. Parce que la faim nous donne alors la rage de continuer avec et pour tous les autres affamés.

Dernière mise en ligne, ici-même, le 12 décembre et le lien avec le tout nouveau site de Sébastien Rongier, camarade de route de Remue.net.


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