[le site de Fabienne Swiatly ]

Le métallisé des eaux profondes, le bleu glacé des torrents.

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Sète. Les transats et les hamacs réceptionnent nos corps passifs pour que nous soyons confortablement installés pour entendre de la poésie. Les poètes se succèdent derrière les micros, ils sont les voix méditerranéennes. Certaines voix sont timides, d'autres clament, déclament et il est dit que certains font des performances. Le public somnole et coche dans le catalogue ce qu'il a vu, désire voir. Il fait le plein. Sur la place, les livres se vendent mollement. De la poésie tronçonnée s'affiche sur des banderoles. Place aux belles phrases ! S'il fait trop chaud, on se déplace jusqu'à l'ombre des arbres du parc dit Du Château où le public mange pendant que les poètes récitent, clament, déclament, performent ou laissent la place à des musiciens. Le touriste, au hasard de ses déambulations dans la ville, croisera forcément un poète, un bout de texte et il pourra se dire que voilà une pratique artistique bien sympathique et peu dérangeante, peut-être même fera-t-il l'effort d'en écouter puisqu'il pourra mettre son corps au repos dans le creux d'une toile de lin. Voix de la Méditerranée. Et je ressens un manque violent. Car les voix méditerranéennes que je voudrais entendre ont été englouties sous des tonnes d'eau salé, loin de nos siestes littéraires (c'est le terme utilisé dans de nombreux programmes de festivals). Pourtant il nous faudra bien quitter le hamac ou le transat, et nous éloigner des rivages touristiques pour entendre la voix de ceux qui n'ont plus la force de crier pour nous réveiller de notre somnolence. La poésie doit se remettre debout à hauteur d'hommes et de femmes où alors je veux bien la rayer de mon vocabulaire. Il nous faut remettre les mots debout ! La poésie n'est pas un parc d'attractions.

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SAM 1994

Plage des Issambres, la nuit. Quelques rares baigneurs et pêcheurs. Ceux qui fuient le soleil mordant du jour, la foule huilée, le bruit, les normes du tourisme. L'obscurité permet de me baigner nue. Je ne dérange personne et m'offre un plaisir inouï. Peu de différence de température entre l'eau et l'air. Mon corps blanc sous l'eau sombre de la nuit. Je pense aux baleines bosses vue à Husavik dans le nord de l'Islande. Je me sens baleine, je le dis plusieurs fois à voix haute, heureusement je suis suffisamment loin de la plage. Un plaisir primaire, enfantin. Pas de longueurs de nage comme d'habitude, mais des mouvements intuitifs, presque une danse. Je reprends vie  après une journée à lutter contre la canicule. Corps mou sur le canapé à tenter de lire. Le ventilo qui fait un bruit de bouilloire. Je nage, je glisse dans l'eau, j'imite discrètement le chant d'une baleine. Je n'ai pas d'âge. Je joue. Sur le sable, rassurants, les bouchons phosphorescents des pêcheurs et le bout incandescent d'une cigarette. La nuit est douce.

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Hverfjall. Marcher sur les hauteurs d'un volcan apparu il y a deux mille cinq cents ans. Gris anthracite. 1200 mètres de diamètre. Volcan près du lac Myvatn au nord de l'Islande. La pluie, le froid ont chassé nombre de touristes. Je marche. Ma fille me prend en photo. J'ai pris de l'avance pour ne pas avoir à parler. Marcher. Tourner au bord du vieux cratère. Des souvenirs s'imposent. Depuis que je suis en Islande je pense souvent à Dédé. Un des derniers pêcheurs d'Etretat. Dédé Vatinel qui a connu les tranchées de la guerre de 14, oreilles gelées. Pêcheurs sur une de ses barcasses qui avançaient à coups de rames. Six à bord. Pêcheurs normands qui relevaient les filets. Aucun ne savait nager. J'avais eu la grande chance de partir pêcher avec lui avant qu'il ne meure. On pouvait le voir assis avec son frère Ulysse sur le banc du perret, paletot bleu marine et béret assorti. Parfois il me racontait, la mer, le froid, la misère et les Parisiens. Ceux qui vivent dans les villas sur les hauteurs d'Etretat. Ses yeux étaient aussi bleus et ronds que ceux de certaines soles que nous remontions dans les filets. J'avance au bord du volcan et je pense à ces gens simples qui ont accueilli l'adolescente paumée que j'étais à l'époque. Je pense à eux. Je tourne rond. 

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Reprendre un texte écrit en 2007 est quelque chose d'espérée : y retourner. Une certaine crainte aussi retailler dans la masse c'est prendre le risque de tout mettre par terre. Guy Naigeon a mis en scène ce texte en 2008 avec Anne de Boissy comme comédienne. Ma première expérience d'un texte joué au théâtre. Guy  m'a demandé d'ajouter pour la programmation 2016 des nouveaux fragments. Écrire mon rapport à l'alcool maintenant. Pas si simple. Quelle place donner à la narratrice ?  Poursuivre la recherche sous forme d'anamnèses (retrouver la ténuité d'un souvenir alors qu'il s'agit d'ici et maintenant) ou tenter le contrechamps ? Pas simple même si j'avais commencé à écrire quelque chose il y a deux ans, une suite parce que l'alcool était encore présent dans ma vie, moins violent mais toujours encombrant. Sauf que je ne parviens pas à retrouver ce texte en cours, égaré dans les méandres de la mémoire numérique ou tout simplement effacé. Reprendre un texte donc, j'en ai souvent l'envie quand je lis des extraits pendant une rencontre. Pas réécrire (sauf quelques boursoufflures que je corrige de la voix) mais ajouter un ou deux chapitres ou quelques fragments. Y retourner,  l'expression me va. 
 

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Les 7 et 9 janvier, il y a eu des terribles tueries en France. Des hommes et des femmes ont été massacrées. Lâchement. Violemment. Ces hommes et ces femmes avaient pour certains accompagné notre jeunesse, notre quotidien, notre soif de littérature, de BD, d'humour. Ils sont morts et tout un pays a été touché, terrassé, violenté, déstabilisé par cet acte. Un pays que nous partageons comme territoire de vie. Suite à toute cette violence, de nombreuses personnes ont eu besoin de se retrouver ensemble dans la rue. De quitter l'appartement, la maison, l'écran pour se retrouver dehors, avec d'autres. J'en fait partie. J'en avais besoin même si, une fois dans la rue (les rues de Lyon en ce qui me concerne), j'ai été traversée par des sentiments ambigus. Très vite, j'ai ressenti un malaise à ne pas savoir nommer précisément ce qui nous réunissait.Triste de l'absence des uns, soucieuse de la présence d'autres. D'où venait le vent qui agitait les drapeaux français que brandissaient certains ? Ensuite j'ai été curieuse d'entendre ceux qui n'ont pas voulu ou pas pu se joindre à ce moment du vivre ensemble, comme cette amie Allemande qui ne se sentait pas "chez elle". Certes, nous étions réunis pour des raisons différentes, certes les rangées de politiciens rassemblaient des personnalités parfois douteuses, mais imaginons que peu de gens se soient rassemblés ce jour-là ? Personnellement, je suis d'abord venue comme on va à un enterrement. Besoin de partager son chagrin, de nommer l'absence, de se donner du courage pour après. Envie aussi de dire non à quelque chose de confus qui me dépassait et me dépasse encore. Et c'est dans la rue avec d'autres que j'ai réussi à donner corps à mon malaise et que j'ai commencé à penser plus loin que le choc émotionnel. Mais voilà que je suis désignée comme une manipulée par ceux qui ont accès aux médias. Ceux qui dans leurs livres dénoncent le prêt-à-penser mais nous confondent tous. Je veux bien lire quelque chose qui m'aide à comprendre, à saisir ce qui sonnait faux dans ce rassemblent mais les livres ou propos comme ceux d'Emmanuel Todd ou de Philippe Val ne me donnent aucun élément de réflexion ou de compréhension pourtant je suis capable d'admettre mes erreurs. Ils se posent au-dessus de la masse (pas à côté mais au-dessus) et nous crachent dessus. Ils squattent les micros sans brio mais avec éloquence. Ils ont droit à leur petit moment de haine nationale avant de toucher leurs droits d'auteur. S'ils n'avaient pas accès aux médias, leurs livres n'auraient certainement jamais été publiés. Ils savent et nous, nous sommes les ignorants. Je me sens méprisée comme dans l'édito de Serge July publié dans Libération en mai 2005. Serge July qui crachait sur ceux qui avaient voté non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, et du même coup il crachait sur son lectorat. Nous étions des manipulés qui n'avions rien compris à la chose européenne alors que les mois d'avant avaient été un formidable échange sur les contenus et les enjeux duTraité grâce à internet. Nous avions cherché à comprendre et avions fait un choix, alors que nous aurions dû opiner du chef puisque les éditorialistes de la plupart des quotidiens nationaux (ceux ne se font pas manipuler même s'ils partagent la table des politiques, des chefs d'entreprise et des patrons de presse) nous sommaient de voter oui. Leur colère (car ils étaient vexés et déstabilisés dans leur hégémonie intellectuelle) réduisait ce non à de la peur, de la manipulation, de l'ignorance crasse. Nous aurions rejeté l'Europe alors que nous avions tout simplement dit non à un Traité. La catastrophe annoncée n'a pas eu lieu, loin de là, même si l'Europe est un espace fragile et que je veux croire à sa capacité de nous protéger de la guerre. Suite à cet édito, j'ai cessé d'acheter Libération. Un journal que je lisais pourtant chaque jour depuis l'âge de 15 ans. Je n'aime pas que l'on s'adresse à moi comme si j'étais idiote. Je ne supporte pas le mépris. Si je veux bien apprendre des autres, je n'ai pas de leçons à recevoir de ceux qui se vivent au-dessus de la masse. Malgré tout, je continuerai à partager les paroles de la chanson de Brassens, Tous ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons :
 
" Vous proférez, Monsieur, des sottises énormes,
Mais jusque à la mort, je me battrai pour qu'on
Vous les laissât tenir. Attendez-moi sous l'orme ! "

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Contre un arbre dont je ne sais pas le nom, les feuilles trop jeunes pour donner une piste, je m’appuie. Tronc maigre. Le paysage devant moi, vallonné paisible. Bocage. Préparer la lecture de samedi à la Librairie ParChemins textes d’Albane Gellé, Mohammed El Amraoui, Jacques Jouan, ceux venus en résidence au Château de la Turmelière avant moi. Lire à voix haute. Aujourd'hui c'est plaisir de se tenir dans le soleil d’avril, les pieds nus, chaussettes en boule dans les bottines. L’air sent le pollen, le miel et l'herbe coupée. Je prends des photos mais elles ne savent pas fixer les odeurs encore moins les bruits : le répété des oiseaux et le passage du vent dans le haut des arbres. Je profite. Un rapace traverse au loin le blanc du ciel et bégaie un même son grave. J’écris quelque chose du paysage et des oiseaux. Pas habituel. Peut-être parce que je me suis sentie vieille l’autre jour et que j’ai voulu compter combien de printemps il me restait à vivre encore, peut-être. Vite j’ai effacé l’idée de ma mémoire, calcul terrifiant. Car j'ai vu à l'Ehpad où nous étions en résidence avec la Cie Les Transformateurs que l'âge n'a rien avoir avec le vivre. Dans ce lieu de repli obligatoire des vieux, ceux du grand âge, jusqu'à 105 ans, la vie s'éteint avant le mourir du corps. Car ces vieux s'effacent de notre quotidien, de nos rues, de nos places, de nos mémoires puis d'eux-mêmes. Pourtant j'ai vu quand nous faisions du bruit, quand nous parlions avec eux, quand nous les sollicitions, quand nous allions jusqu'à les enquiquiner à certains moments comme ils se réveillaient. Ils existaient. Et leurs paroles disaient : On n'a pas à se plaindre ... On attend ... A notre âge ... Polis ces vieux mis de côté. Cela m'a fait mal. Très mal. Ne pas gaspiller ma liberté de vivre. Alors je profite de ce jour si beau dans les jardins du Château de la Turmelière, et je me sens bien même si la mer est un cimetière, même si on déverse de la boue sur les pauvres, même si Dieu est redevenu un cri de guerre. Je me tiens à distance pour ne pas tomber. J'écris pour ne pas m'effacer du paysage. J'écris pour que Maria, Odile, Jacques, Serge, Denise ... ne meurent pas avant leur mort. 

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Gare d'Angers, j'attends mon train pour Varades. Je m'ennuie un peu ne parvenant à entrer dans aucun des livres emportés alors je regarde, puis j'entends. Depuis quelques années, il y a dans les grandes gares des pianos à disposition des voyageurs et des passants. Et c'est une belle idée. Vient de s'installer un jeune homme tout de noir vêtu, il démarre différents morceaux de manière époustouflante (Je reconnais du Rachmaninov) mais il s'arrête à chaque fois au bout de quelques minutes. S'énerve. Râle. Joue autre chose, s'énerve encore. Il a l'air fou. Un autre jeune, sweat, casquette à l'envers et jean à taille basse propose au jeune à l'air fou de jouer ensemble. Il lui indique des accords, des enchaînement. Ils jouent assis l'un à côté de l'autre, l'air appliqué. Au même moment dans la salle d'attente, un adolescent offre à une jeune fille un portrait qu'il vient d'exécuter du chien qu'elle tient en laisse. Un dessin très technique et coloré. Elle sourit l'air ravi. Le charme de certains jours ....

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Sous une pluie fine, j'ai marché dans les ruelles de Saint Florent-le-Vieil parce que je ne savais pas quoi faire d'autre à cette heure. Ce n'était pas l'heure du repas, pas celui du lire, pas celui de se coucher. L'énergie réveillée par la formation animée dans la journée qui met le corps en mouvement alors j’attrape un parapluie et je marche dans les ruelles, au hasard. Je marche et je ne fais rien. Ni photo, ni prise de notes, ni coup de fil, juste marcher dans les rues vides aux pavés et pierres luisantes. Les gens dedans : dedans les maisons, dedans les voitures, dedans leur parka. Lumière reposante où l'on semble vivre dans le noir, le blanc et le brun uniquement. Rien de sensationnel, même les bruits absents. La pluie glisse sur le parapluie sans faire de manière. Rien de spécial mais je sens monter en moi une bouffée de souvenirs. Souvenirs oubliés puisque eux aussi non-sensationnels : J'ai quinze ans et je marche dans les rues d'Amnéville où il pleuvait souvent. Je marche dans les rues parce que je ne sais pas quoi faire d'autre et puis je peux y fumer tranquillement puisque c'est interdit à la maison. Je fume, je marche, j'observe et je pense à rien. Rien de particulier. Et dans les rues de Saint Florent, ce qui me fait un bien fou, même si je ne fume plus, c'est de n'avoir rien de particulier à faire. Ce pourrait être de l'ennui, mais non. Après il sera l'heure de manger, d'écrire, de mettre à jour le site, de mettre, enfin, en ligne l'article sur frédéric dumond (il tient à la minuscule) de répondre aux messages du téléphone, mais là tout de suite, je ne fais rien. Absolument rien et c'est un grand bonheur. 

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Va orange

Le quatrième numéro de Va ! sortira en mai. Revue poétique héritière du fameux Dans la lune dont Valérie Rouzeau fut la rédactrice en chef. Dans cette revue, on tente de donner des clés et de quoi nourrir ceux qui se tiennent éloignés de la poésie soit parce qu'ils sont trop jeunes pour s'y retrouver, soit parce qu'elle leur fait peur (oui c'est souvent le terme employé). Ce quatrième numéro sera d'un orange vigoureux, précis et joyeux. Grâce à Mateja Bizjak Petit​ qui m'a tendu les rênes éditoriales et Nicole Pérignon​ qui donne toute l’énergie graphique et esthétique à cette revue, je suis amenée à lire et relire de nombreux textes. Relire et découvrir des auteurs sans grille d'évaluation particulière même s'il faut garder en tête que des enfants font partie du lectorat. Souvent, le simple fait d'avoir envie de le lire à des jeunes, est un critère de sélection suffisant. Il ne s'agit pas de choisir des textes écrits spécifiquement pour les enfants, mais de sentir que ce texte peut les rencontrer. Poésie contemporaine qui creuse le présent ou donne de l'épaisseur à ce qui semble vouloir nous échapper, et s'interroger avec les enfants et les adultes, mais que peut la poésie ? Rejoindre les propos d'Antoine Emaz qui écrit dans le recueil Cuisine : Si la poésie n'est pas une machine de guerre, elle est un formidable accélérateur de conscience. Qu'est-ce que cela veut dire d'être là, maintenant, d'exister ? Et le poème ne répond pas à cette question, il l'acidifie. Malheureusement dans les manuels scolaires, elle se limite souvent au virelangue (Je profite souvent de la récréation pour ouvrir les livres et les cahiers, et je vois, et je lis, et je soupire). Pourtant par sa forme brève et sa variété de propos, par sa manière insolente de tordre la syntaxe et la grammaire, la poésie ouvre bien des portes et des fenêtres et sait se rendre disponible. On y parle de tout mais jamais n'importe comment. Et, si je déteste l'idée que les poètes forment une grande confrérie de butineurs de beauté (car nous ne sommes pas tous amis ou complices, loin de là),  je rencontre de nombreux hommes et femmes (de tous âges) qui osent lire ce qui ne se lit pas facilement. Qui osent entrouvrir la porte des classes pour un face à face qui n'est pas toujours évident, mais toujours surprenant. Quelque chose a eu lieu. Quelque chose de la vie.  http://www.danslalune.org/editions/numero-vert.html

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Parfois les ateliers d'écriture ne sont pas une rencontre, parfois c'est raté et ce n'est pas forcément avec des classes dites difficiles, au contraire. Car c'est le plus souvent avec ces classes (où se retrouvent les pauvres, les immigrés et enfants d'immigrés, les mal-orientés, ceux des Zep, des Segpa, des Ulis et tous ceux des zones si joliment nommées zones sensibles...) que je parviens à être étonnée, émue, transportée et parfois aussi car cela a du bon, à être dérangée. Car ces jeunes qui se frottent au rugueux de la vie depuis leur plus jeune âge, ont déjà déployé bien des compétences pour avancer, tenir le coup, progresser. Et ma présence, mes lectures, mes propositions d'écriture les intriguent, les stimulent  car très vite, ils comprennent que la littérature exige une implication forte. Et je peux leur lire Edith Azam, Valérie Rouzeau, Wladimir Maïakovski ou Tarkos, et ils auront la curiosité d'écouter, de comprendre et d'être touché. Un mauvais élève n'est pas un cossard, au contraire, il faut beaucoup d'énergie pour continuer à en être quand on ne rassure pas l'institution. Souvenir d'avoir passé un dimanche entier à mettre à jour un quelconque cahier (contrôle du professeur) et pour gagner du temps, je recopiais une phrase sur deux à partir des notes de la première de la classe (celle qu'on donnait en exemple en cours ou pendant les repas de famille - et que j'ai revu trente ans plus tard, à moitié folle dans les rues de Metz et qu'elle avait ri de sa bouche sans dents quand je lui ai rappelé son statut de meilleure élève). Une phrase sur deux - d'où mon goût peut-être pour la brièveté. Ce sont les plus dociles qui parviennent à se glisser dans le tranquille du moule. Ils ne dérangent personne. Ils ont compris très vite les codes des dominants et reproduisent. Et quand ils sont majorité dans une classe, je sais que cela va être difficile. Dociles ils m'écouteront, ne feront pas de conneries, mais rien ne sera donné. Ils attendront la fin de l'heure et me laisseront seule, dépitée et parfois en colère. Ils sont dans le mou de l’institution : pas d'excellence, pas de répondant non plus. Et leur professeur espérait que mon intervention parviendrait à les réveiller, mais ce ventre mou est difficile à combattre, il est pétri d'habitudes, de peurs et de soumissions. C'est en réfléchissant à tous les ateliers que j'ai animés (des centaines) que j'ai fait le constat. Les bons souvenirs sont toujours liés à des classes dites difficiles. Alors je glisse ici un mot presque désuet pour conclure même s'il ouvre la porte plus qu'il ne la referme : insoumission. 

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Charlie3

                                                                              La tristesse qui était immense me tenait debout avec toute l'énergie du pouvoir dire : je suis vivante. Pouvoir serrer aussi dans mes bras d'autres qui pleurent, qui se sentent orphelins ou bouleversés d'avoir été si près du viseur. Amputés que nous sommes d'une partie de notre histoire. C'était le premier jour, puis vient l'autre autre jour avec d'autres morts, des chalands comme on dit de ceux qui viennent faire leur courses. Et ceux-là aussi dans le viseur parce qu'ils sont Juifs. Alors on s'effondre devant la télé, devant la radio, devant le journal, devant l'avenir... Puis la marche, le défilé, la procession... et les mots hésitent et ne parviennent pas à nommer exactement ce qui a lieu ce jour là. Ensemble oui. Unité ? En tout cas beaucoup de monde dans les rues, les avenues, sur les places avec des vagues d'applaudissements ... et  presque pas de mots. On est là. Ensemble, sans voix, mais où exactement ? Puis le jour d'après, puis les jours d'après. Et la tristesse continue, plus serrée, plus aigre. Je n'ai plus de mots pour dire ce que je ressens, mais les verbes, les phrases, les périphrases s'invitent à nouveau dans l'actualité. Le silence n'aura pas duré. Et les mots comme des cailloux pour aplatir celui qui pense différemment. Sans parler des mots qui doutent, complotent et regardent vers l'indicateur de popularité. Tant de mots qui font un pas de côté et déjà les agents de la paix redeviennent les forces de l'ordre. J'ai perdu ma boussole, alors peut-être que je vais m'asseoir encore un moment et, comme dit si bien Camille de Toledo : je continuerai, à ma manière, à agir, à penser, à écrire, comme si je pouvais sauver le monde. Et si mes mots doivent devenir des cailloux, ils ne seront pas de ceux qu'on lance sur l'autre, mais de ceux que l'on dépose sur les tombes comme dans la tradition juive. Des cailloux pour dire je suis venue. Pour dire je suis vivante.

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En attendant que Noël rejoigne les poubelles, lire ce qui vient nourrir la machine ou l'alambic. Entretien avec Guillevic menée par Jean-Yves Erhel en 1979  dans Un brin d'herbe, après tout : "Je crois que la poésie est indispensable pour le maintien de la langue. Car toute langue  est menacée de sclérose, de vieillissement, oui – de déformation et d’usure par la langue journalistique et la langue administrative. (...) J’écris au plus haut de moi-même (...) La poésie n’est pas utilitaire, utile comme un tracteur ou comme un aspirateur, non, elle est utile parce qu’elle aide à vivre, comme je pense que la  culture dans son ensemble est utile. Pour moi, accéder à la culture ce n’est pas accéder au savoir, c’est accéder au plaisir de soi-même. C’est apprendre à jouir des heures qui passent. C’est une définition  de la culture qui est peut-être un peu … subversive, mais pour moi, c’est la bonne. Un homme cultivé est quelqu’un qui sait tirer plaisir de tout. Aussi bien d’un arbre que d’un article savant ou du sourire d’un visage, n’importe quoi, vous comprenez. C’est tout passer dans l’alambic – dans le laboratoire, central, comme disait Max Jacob."

 

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Je ris parce que je vais bien. Parce je veux aller bien. Le monde va mal c'est ce qui se dit sur les médias et il faudrait prendre pour argent comptant (comme l'expression est bien adaptée) ce résumé de la situation dans le monde. Le prendre en pleine tête et s'en contenter. Se laisser envahir par le côté obscur et abandonner la lumière aux autres ceux qui nous inventent ce monde de la peur et de la soumission. Si j'allais mal à mon tour cela aiderait-il le monde à aller mieux ? Sûrement pas. Au contraire. Je ne vais pas aller mal pour m'assortir au malheur. Je peux être triste, choquée, indignée, solidaire, en colère mais surtout ne pas m'enfermer dans l'impuissance d'un mal-être décrété par qui ? Pour quoi ? Je ne céderai pas du terrain. Je veux continuer à rire avec d'autres. Je veux continuer à croire que la beauté existe... comme cette collégienne, celle qui va chaque jour dans une Unité locale d'inclusion scolaire (Quelle horreur tous ces mots qui assassinent quotidiennement  la poésie) et qui, dès la première séance d'atelier, m'offre cette réflexion : alors c'est beau ce qu'on fait ! Et son merveilleux sourire. Un sourire partagé. Un sourire qui permet de poursuivre la route dignement ... d'aller bien. 

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