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La trace bleue

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14 - Depuis la rencontre du Président Sarkozy avec les ouvriers d'Arcelor Mittal,  il y a plus d'un an le nom de Gandrange est devenu célèbre, alors qu'il reste un lieu assez flou pour moi, même si j'ai vécu pendant 17 ans dans la ville d'à côté. Gandrange est une ville traversée, une ville coincée entre la voie de chemin de fer, le site industriel, l'Orne et la nationale 52, mais la voilà associée aussi au voyage de noces d'un président, presque heureux d'être là au milieu des ouvriers pour annoncer la bonne nouvelle : Vous serez sauvés. Mon étonnant que certains aient pu y croire. La Lorraine depuis les années 70 habituée aux fausses promesses. Mais parfois, il ne reste que ça croire aux miracles. 

Le café de ma soeur La brasserie du stade, plus connu comme étant Chez Gaby - café ouvrier qui a longtemps accueilli ceux qui y vont et ceux qui en reviennent ... de l'usine, va encore perdre des clients. Déjà qu'ils vont dépenser leurs sous aux bandits manchots, les machines à sous du Casino construit sur les hauteurs à côté du crassier qui sert de belvédère à un restaurant panoramique et une piste de ski artificielle, la plus grande d'Europe. Une ville qui a longtemps vécu sur la manne des taxes professionnelles que le président va supprimer bientôt. 

C'est dans la salle des Machine à sous que j'ai vécu une scène qui devrait être le moteur de mon prochain livre, à défaut d'être un documentaire : rencontrant le directeur du Casino de l'époque, il me fait visiter la grande salle, celle des jeux nobles : roulettes, Black Jack .. puis l'autre salle avec des dizaines de machines à sous dont l'une fonctionne même à coups de 50 euros. Il m'explique qu'ici pas de décorum, on accepte les baskets et ces mots dans sa bouche : la salle du Tout venant.

Avec cette étrange coïncidence qui fait que le matin même, interviewant un ancien ouvrier, il me raconte mon grand-père poussant les wagons dans l'usine, celle-là même de Gandrange, poussant le Tout venant, le charbon non trié. Et ajoutant : un sale le boulot !

Deux moments de la journée qui viennent se percuter violemment dans ma tête autour d'un mot  le Tout venant, et qui renvoie la masse laborieuse à ce qu'elle a de plus méprisable. Un tout qui va et vient au bon gré des nécessités économiques, celui du Capital. Les ouvriers, les petites mains, les caissières des supermarchés, les plongeurs des restaurants chics, les femmes de ménage des chaines hôtelières, les corvéables, les intérimaires.... le Tout venant qui enrichit une petite part de notre société, peu nombreuse mais au pouvoir incontestable.

Ceux du travail déprécié, du travail déplacé, ceux des bas salaires, ceux qui doivent payer cash leur part à la crise qui continue pourtant à nourrir grassement les Parvenus.

Je sais que mon vocabulaire semble dater mais il ne suffit pas de dissoudre certains mots dans les grands discours  pour qu'ils n'aient plus de sens. Bien au contraire. Il suffit de les regarder bien en face, de les redire plusieurs fois, de leur redonner vie pour qu'ils nous donnent à voir ce que l'on a tenté de cacher, d'édulcorer. Remettons les sur le devant de la scène pour entendre ce qu'ils ont à raconter sur le présent.

Et puis zut, puisque je suis issue du peuple Tout venant, je veux  utiliser les mots qui me font du bien, qui me donnent du courage et qui permettent de m'extraire de la soi-disant complexité du monde qui ne pourrait être compris que par quelques nantis du savoir. Il est  grand temps que je m'attèle à ce livre. Il est grand temps que je me mette au boulot.