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L'obstination du bleu Klein.

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25 La Caboulotte - Etretat. La plage, les falaises, les touristes, le passé. Je regarde la mer et pense, après avoir tenté un selfie, qu'un jour on a son visage de vieux, son visage de vieille. Et il y a quelque chose d'émouvant dans ce visage qui fait que je ne me lancerai jamais dans la bataille du paraître jeune. Une illusion qui ne fonctionne, de toute façon, que sur les images. Et je l'aime bien ma tête de vieille. J'ai quitté la caboulotte pour venir à l'enterrement de Gérard. Quelqu'un que j'ai aimé comme un père et qui fut plus généreux et aimant que mon propre père. La dernière fois que je l'ai vu, en compagnie de ma fille ainée, deux tables nous séparaient. Nous portions un masque chacun. Impossible de communiquer. Ses yeux bleus humides nous lançaient un regard tendre et égaré. Raymonde, sa compagne depuis plus de soixante-dix ans, lui serrait la main. Elle a dit : Je ne sais pas qui c'est, mais elles ont l'air gentil. Raymonde et Gérard entreront un jour dans un de mes livres car je leur dois beaucoup. Mon émotion est trop fragile pour en parler plus en avant dans cette chronique. Assise sur un banc du perrey, je me vois encore, jeune fille de dix-sept ans, arriver à Étretat en stop avec mon amie Corinne. Un sac à dos, deux duvets de mauvaise qualité et l'équivalent de vingt euros en poche, assises sur les galets qu'il n'était pas encore interdit de ramasser,  nous étions époustouflées par le paysage et forte de notre audace. Tout quitter pour partir quelque part, ailleurs pour se séparer d'un avenir étroit de secrétaire. Il faisait beau. L'air était doux et la mer calme.  A cette jeune fille au ciré jaune de cantonnier, j'ai toujours envie de dire : Ne t'inquiète pas ! ça va aller. Mais en a-t-elle besoin ? Car malgré le manque d'argent et l'incertitude du où dormir le soir même, la jeune fille sait que si elle a eu la force de quitter sa famille, de quitter la Lorraine, de rompre avec le déterminisme de son milieu social, elle trouvera la force  faire face. Et elle sait aussi, qu'un jour, elle écrira. Ne sait pas comment, ne sait pas quoi, mais cette volonté, ce désir vibre en elle. Je quitte le souvenir et observe de loin les touristes imprudents qui se promènent trop près de la falaise. Une femme a chuté il y a deux jours à peine. Sur le banc, j'attends le moment de nous retrouver dans l'église romane puis dans le cimetière où Dédé, Jean, Ulysse, Madeleine ont déjà leur nom gravé sur une stèle. Du chou sauvage a été ramassé. Les fleurs jaunes de la falaise seront déposées sur le cercueil. Gentillesse et simplicité, Gérard et Raymonde m'ont donné cela. J'ai de grosses larmes qui font du bien. Demain je rentre à la Caboulotte. Je suis forte de toute cette histoire. Je crois que je vieillis bien.