21 La Caboulotte - L'arrivée du printemps m'a déroutée. Plus de six mois que je vis ici dans ma cabane-roulotte. Beaucoup s'inquiétait de mon quotidien pendant la période hivernale mais j'ai aimé le froid, la neige, les nuits longues et la solitude et voilà qu'il fait déjà 20° en journée - les fleurs, les feuilles s'imposent, les insectes bruissent de partout, les oiseaux bavardent dans toutes les futaies et sur chaque hauteur d'arbres. Partout le printemps. Et moi, je n'en reviens pas : déjà ! Je ne me sens pas prête. Bien sûr, la vie sera beaucoup plus simple mais je me sens moins à l'abri. C'est l'expression qui me vient. A l'abri de quoi ? Alors ce matin, j'ai décidé de passer ma matinée dehors. Pas d'écriture mais le chantier du petit muret à monter pour contenir la terre d'un jardinet. J'ai glané sur le terrain des pierres de différentes tailles, en prenant soin de ne pas ramasser celles qui appartiennent à un ancien muret, même tombé, pas celles joliment moussues qui se confondent avec la terre, pas celles sous lesquelles vers et fourmis s'activent déjà. Monter un muret et planter bientôt quelquescourgettes, courges et du romarin. Me mêler à l'activité printanière et apprécier l'incroyable chance que j'ai d'être dans ce lieu où je peux m'activer et écrire. L'incroyable chance que j'ai de ne pas avoir à craindre le bruit du moteur des avions. Pas de bombardements ici. L'incroyable chance que j'ai de pouvoir vivre modestement mais sereinement de mon métier d'écrivaine. Et aussi d'avoir su nouer de solides relations avec ma famille et mes ami.es pour ne jamais me sentir seule, même si certains jours, c'est aux arbres et aux mésanges que je parle. Par contre, je ne sais toujours pas siffler. Rien à faire. Du coup je suis terriblement envieuse de Jean Boucault et Johnny Rasse, chanteurs d'oiseaux, dont j'ai découvert l'univers à l'écoute d'un podcast Deux vies parmi les oiseaux. Parler-oiseau, quelle chance. Sur le carnet dédié à mon futur voyage en fourgon aménagé, j'ai noté leurs noms, j'ai noté Baie de Somme que je connais un peu (souvenir d'une longue balade dans la baie, tôt le matin parmi les oiseaux, les phoques et les veaux-marins). Et peut-être que je croiserai ces deux étonnants hommes-oiseaux que je ferai bien rire à ne pouvoir extraire de mes lèvres que des vagues sifflotis rocailleux. Le muret prend forme, les muscles se rebiffent un peu, je vais faire une pause, pas envie de me casser le dos. Entre pins et chênes la nature et moi, nous prenons soin de nos nids. Rien de plus. Rien de moins. C'est le printemps, nous en sommes en vie.