La caboulotte 19 - Il y a des temps creux, des temps difficiles, pas forcément liés à la solitude d'ici. J'aime à répéter qu'à 11h32 je peux m'interroger sur l'art d'en finir et à 11h38 chercher quel est le titre de cette incroyable poésie interprétée par Johnny dans les années 70 (à écouter ici pour les curieux). J'ai l'humeur instable, depuis toujours. Et dans ces creux, l'alcool venait se lover avant de m'emporter vers d'autres abimes. Alors le barrage de l'abstinence, cinq ans et deux mois, précisément. Depuis l'adolescence, je suis traversée par des courants contradictoires dont je ne parviens pas, certains jours, à gérer les remous. Moins souvent qu'avant et surtout j'arrive à m'arrimer aux " ça va passer " Et, effectivement, ça passe. L'humour me sauve souvent la mise. Je me moque facilement de moi-même - ce qui est très pratique quand on est seule. Ainsi depuis plusieurs semaines je m'entraîne à siffler entre les doigts. Plus précisément à siffler entre le pouce et l'index réunis en une boucle et glissée entre mes lèvres, Comme le cow-boy qui appelle son cheval caché derrière le bosquet, ou encore le voyou pour avertir de l'arrivée des flics. Je m'entraîne régulièrement depuis quinze jours. Au début je m'obstinais à positionner mes mains toujours de la même manière, cherchant à mieux diriger mon souffle. Piètre résultat. Un chuintement vain. Depuis ce matin j'ai changé de tactique. Mes deux doigts sont perpendiculaires à mes lèvres et touchent presque le haut du menton. C'est mieux. Je suis loin du résultat mais ça progresse. Je devrais peut-être m'inspirer de Curro Savoy, célèbre siffleur des musiques de film d'Ennio Moricone - quoiqu'il n'utilise pas ses doigts. Quand je m'exerce, je me souviens que plus jeune, il était dit (on doit pouvoir l'entendre encore) que cela ne se faisait pas pour une fille de siffler. Dans ma caboulotte ou au milieu des arbres, personne pour subir mes pitoyables essais et les oiseaux s'en fichent. Ni cela les effraie. Ni cela les séduit. Je souffle entre mes doigts jusqu'à ce que la tête me tourne ou que mes lèvres se crispent, alors il est temps d'écrire. En fait, le personnage de mon roman en cours, tente aussi de siffler de la sorte et rencontre les mêmes difficultés. Écrivant cette chronique, je m'interroge sur la photo qui viendra l'illustrer. Un autoportrait ? Guère flatteur car ma bouche, à ce moment là, à tout du cul de poule. Peut-être une photo de ma Vilaine, poupée en tricot récupérée de justesse d'une benne à rebut d'Emmaüs. Depuis elle me suit partout. Je lui ai cousu un sourire pour adoucir son air parfois inquiétant. Mais là tout de suite, il me semble déceler chez elle, une certaine ironie comme une envie de me poser la question : T'espère faire revenir qui avec tes sifflements ?