Caboulotte 10 - Tu n'as pas peur ? Cette question m'est souvent posée sans que l'on me précise de quoi je devrais avoir peur. Ma vraie peur, et j'en ai déjà parlé, était que l'écriture ne soit pas pas au rendez-vous. J'écris. Tout va bien. La solitude me va aussi et elle n'est pas de tous les jours, puisque hier encore j'échangeais avec une cinquantaine de bibliothécaires et enseignant.es à l'Hôtel du département de Privas. La nuit alors ? L'obscurité ? Oui je pourrais en avoir peur et je ne suis pas capable, comme un de mes amis, de dormir seule dehors quand le temps le permet (Pourtant j'aimerais tant y arriver). Ici, il me faut souvent sortir la nuit (pas de toilettes dans ma petite demeure) et à des heures très différentes. Il n'y a aucun éclairage public. La nuit s'apprivoise, je l'ai vite compris. D'abord éteindre la lampe de poche qui rend l’obscurité plus opaque et, étrangement, plus inquiétante. Et, réflexion faite, en cas de danger, on devient follement visible une lampe à la main. Alors j'éteins et mes yeux s'habituent et je finis par mieux distinguer les formes et les différentes couleurs. La nuit offre des bleutés et des grisés très différents. La nuit n'est pas noire. Les nuits de haute et pleine lune, le tronc des pins et des chênes est strié par l'ombre des autres arbres, composant alors un décor presque hallucinant. Quand j'ouvre la porte à ce moment-là, souvent après minuit, il me semble vivre une expérience surnaturelle. Mes yeux voient la nuit. J'apprivoise aussi les bruits et j'ai ainsi découvert que la cloche de l'église sonnait (je n'y avais pas prêté attention jusque-là). La nuit peut m'inquiéter quand un cauchemar traverse mon sommeil et qu'ouvrant les yeux tout me semble inquiétant. Alors ce n'est pas de la nuit dont j'ai peur mais de tout ce qui y est associé : sorcellerie, diablerie, folie humaine. Ce que l'enfance a distillé en moi : ma mère m'abreuvait d'histoires de diables et d'assassins, prenant le relais du pasteur très inspiré aussi. Ce plaisir ravageur des adultes de nous dominer par la peur au lieu de nous prendre par la main et de nous dire : Regarde, écoute la nuit. C'est beau ! Il existe bien sûr des dangers dont il faut apprendre à se protéger, mais malheureusement, ces danger existent aussi le jour, et parfois en des lieux qui devraient nous mettre à l'abri. Les maisons familiales ne sont pas toujours des havres de paix. Alors oui, je m'assoie sur les marches de la caboulotte et je laisse la nuit exister avec moi, puis je retourne sous la couette qui parfois me donne l'impression d'être un ventre moelleux. Je m'endors vite. Je m'endors bien. Demain matin, il fera bon se lever et vivre le jour.