Journal du bord - 1er septembre - Tôt le martin, je marche en bord de Saône. Peu de monde. Lui arrive de face, en vélo, engoncé dans une parka, casque sur la tête, masque sur le visage. Il roule vite et me lance : Et ton masque ! Je l'ai baissé, étant seule sur le quai. Lui par contre roule là où c’est interdit aux vélos, alors je lui lance : Et la piste cyclable, connard ! J’enrage de tout mon ventre et de toute ma mâchoire. Excessive. Depuis quelques jours, j’ai des bouffées de colère, d’enragement envers la moindre personne qui déroge à tel ou tel règlement alors que moi-même... Je suis devenue intolérante. Rage qui se nourrit de ma difficulté à subir des obligations qui m’infantilisent, sans chercher mon adhésion. Subir des décisions comme si nous étions encore en situation de crise (ce qui n’est plus le cas) alors qu’il nous faudrait, surtout, apprendre la gestion des risques (en sachant que le risque zéro n’existe pas). Faire adhérer à des décisions est beaucoup plus efficace que de contraindre ou punir, sinon ce sera une responsabilisation de façade. Pour preuve, notre manière inappropriée de gérer nos masques (réutilisés plusieurs jours d’affilée, voire plus) Masques pour éviter le PV et permettre l'accès aux espaces publics. J'ai constaté aussi que les discussions, à ce sujet, sont d’une violence assez rare, comme si le monde était divisé en deux (les pour et les contre), et que forcément, la partie adverse est bornée et inconsciente ou, inversement, soumise et pleutre. Il y a quelques jours, j’ai eu une discussion un peu tendue avec une amie qui trouvait ridicule la demande des enseignants d’enlever le masque quand il y a deux mètres de distance. Comment peuvent-ils savoir s'il y a un mètre ou deux ? C'est du foutage de gueule, me dit-elle. Habituée aux salles de classe, je sais que l’enseignant, debout devant le tableau, est suffisamment loin pour parler à l'ensemble de la classe sans masque. Mon amie a eu cette réaction car elle ne connait pas le terrain et moi, je n'a pas eu la patience de lui expliquer. Un poisson jaillit bruyamment de l'eau et me ramène au calme de la rive. Poisson que l’on ne peut pas manger à cause de la pollution de l'eau. Une pollution qui nous laisse globalement indifférents. Je respire profondément. Je veux être capable d’entendre une parole, constater un comportement qui n’est pas forcément le mien sans être envahie par de la haine ou de la colère. Je veux tenter encore et encore de penser que la complexité du monde, n’empêche pas de prendre des décisions collectives et sages. Un autre poisson ou le même jaillit à nouveau, je vois ses écailles briller avant qu’il ne disparaisse sous l’eau. Ce poisson bien qu'impropre à la consommation, n'en n'est pas moins vivant, puissant et terriblement beau.