Soudain un livre au milieu d'autres livres et c'est bonheur que de le lire. Celui-là me parle. J'anime une formation à l'animation d'ateliers d'écriture pour le Crefad. Alors que les stagiaires écrivent, je promène mon regard sur la bibliothèque de la salle. Et je prends dans une rangée L'usage de la parole de Nathalie Sarraute. Je connais assez bien les écrits de Sarraute, surtout les derniers de sa vie comme Ouvrez où elle cherche à raconter l'intérieur des mots et la mécanique de la parole. Ce qui se trame entre la mémoire et notre bouche. Cerner l'autre fiction, l'invisible, que couvre le flot des paroles.
J'avais d'autres alliés déjà comme Victor Klemperer ou Michel Volkovitch, mais j'aime que Nathalie Sarraute soit venue, ainsi, s'immiscer dans le déroulement de ma journée.
Ce livre là j'en connaissais le titre mais jamais je ne l'avais eu entre les mains.
Alors dans la salle de formation je lis et je me laisse tellement embarquer par le propos que j'en finirai par oublier l'heure. Et le merveilleux est que je trouve dans le livre de quoi nourrir une séquence de la formation autour du mot que j'avais prévu un peu plus tard. Du comment pousser ceux qui écrivent en atelier à bousculer leur vocabulaire. A creuser un peu les mots qui viennent si facilement sous le stylo. Et qui faisant surface noircie sur le papier réjouissent un peu vite son auteur.
A l'animateur de donner à sentir qu'un mot fait sens en s'appuyant sur les mots qui l'entourent. Qu'il faut lui donner de l'épaisseur, du relief, de la couleur. Et pas seulement l'encorder à d'autres mots sans réfléchir. Pas toujours évident.
Alors, le livre de Sarraute pour étoffer ma séquence. Je me réjouis, comme s'il s'agissait d'un signe du ciel, si j'ose dire. Et cela vient égayer ma journée.
Extrait :
Le mot "amour" quand il monte aux lèvres des amoureux, quand il se montre au-dehors, est comme le pavillon aux armes du souverain, qu'on hisse sur un palais pour signaler que l'hôte royal est arrivé, qu'il est là, dans ses murs.
Un palais jusqu'ici désaffecté, aux mornes salles inhabitées, qui maintenant s'anime, resplendit, nettoyé, frotté, plié, repeint à neuf, empli de toutes les choses magnifiques que "l'amour" rassemble...
Comme Dieu, celui qui a prononcé ces mots : "je vous aime" a le pouvoir de retirer ce qu'il a donné.
Mais que le mot Amour mortellement frappé s'effondre et les couronnes de carton roulent, les scpetres en cire coulent, le somptueux palais fendu en deux montre au grand jour ses boiseries, ses tentures arrachées, ses meubles et objets précieux vacillant au bord du vide.