Retour à Bédarieux - je finalise les photos, le site, les textes. Il fait gris. Les vacances ont dilué l'énergie du travail, une certaine distance entre moi et le projet. Se remettre en selle, expression toute faite, mais qui convient. J'aime ce travail de photos avec le cadre et l'ensemble produit son effet, il me semble. A voir ici sur le site de la résidence. Plus d'ateliers d'écriture, j'ai enfin le temps d'écrire pour moi. Un texte poétique à finaliser, celui de ma résidence à Saint-Claude où il me faut passer du texte à dire à un texte à lire, pas simple et un roman qui s'obstine : J'ai pas osé. Oui avec l'absence de négation que j'aborde ainsi dans le roman :
J’ai pas osé
J’ai vu de suite la faute de grammaire dans son texte et j’ai posé ma main sur son épaule, ce que je ne m’autorise jamais en classe ou toujours à regret : toucher un élève.
J’ai dit il faut écrire je n’ai pas osé. Il a regardé sa phrase, la tête penchée sur son cahier, du silence qui hésite et ma main sur son épaule qui reste : ouais sauf que ç’est mieux comme ça.
J’ai compris ce qu’il voulait dire. Ça osait d’abord puis ça n’osait plus. Il m’arrivait aussi de résister à cette règle de grammaire qui donne trop d’emphase à certaines phrases. @dernièremiseàjourjeudi7janvier2010+obsessionusinesàlireici
9 - Enfin la brume se dissipe. Il faut que j'aille faire des photos même si je dois repartir sur Lyon dans une heure. Et ma valise qui n'est pas faite, je dirais même qu'elle est totalement défaite. Cette capacité que j'ai à créer du désordre en un temps record. Toujours ce besoin du dedans dehors.
L'écriture a cela de merveilleux qu'elle met aussi mon dedans dehors mais de manière ordonnée.
Photos donc. Et toujours cet appareil dont je n'ai pas lu le mode d'emploi. Je fonction en mode automatique pour l'instant, mais quelque chose de gênant. Je suis habituée depuis plusieurs années à utiliser des petits numériques, celui-à avec son objectif pèse dans mes mains. D'ailleurs je prends, une fois sur deux, une photo penchée.
Lumière impeccable. Je prends à nouveau la cimenterie en photo. Avec pas mal de questions sur le choix du cadrage. Qu'est-ce que je veux photographier ? Une présence, d'accord. Mais esthétiser la vision ou la décontextualiser, c'est vouloir raconter quoi ? Je photographie l'usine comme une réminiscence de ma mémoire. Je ne photographie pas ce que je vois, mais je cherche à travers la photo à voir ce que ma mémoire ne parvient pas à dire. Sensation étrange. En tout cas, je passe un bon moment à tourner sur le terrain vague qui borde le bâtiment, on y construit des villas. Je pense au linge qui séchera dans la poussière de ciment.
Et ce que me dit A.D :
Les ouvriers du bâtiment qui s'activent sur le toit, me regardent de temps en temps. J'hésite à leur faire signe. Une femme qui traîne sur les chantiers provoque de nombreux quiproquos. Je grimpe sur les buttes de terre, en quête d'un point de vue intéressant. Je m'écorche les mains aux chardons desséchés. Je glisse et me contorsionne douloureusement afin de protéger l'appareil photo. Puis je prends, saisis, grave l'usine. Celle de la cimenterie.
11 - Un week-end dans la région de Port-Saint-Louis du Rhône et Fos-sur-mer en Carmargues. Tenter encore de prendre de l'usine en photo. Routes tristes qui éloignent plus qu'elles ne rapprochent. Arcelor Mittal s'impose dans le paysage. La même architecture massue, sombre, presque sans entrée que celle d'Amnéville. Enfant, je me demandais comment ils faisaient pour y entrer les travailleurs. Imaginant une antre rougeoyante qui s'ouvrait quand venait l'heure et se refermait derrière les trois fournées, celle du matin, de l'après-midi ou de la nuit. L'image d'un enfer. Il ne me serait pas venu à l'idée de m'en rapprocher. Et maintenant encore, cette difficulté à y voir de plus près. Ou bien me faut-il rester à la même distance que dans mon enfance pour en comprendre quelque chose ?
Ce week-end là, celui des morts, les nuages ont recouvert le paysage d'une lumière terne. Difficile de donner du contour à ce que je photographie. Je pourrais retoucher ensuite avec un logiciel, mais je ne maîtrise pas bien la technique des retouches. La crainte d'y perdre définitivement quelque chose. Je dois mettre dans le cadre ce que je ressens à l'instant où c'est pris. La quête du souvenir lointain qui s'inscrit dans le paysage d'aujourd'hui. C'est laborieux. C'est flou. Et m'oblige ici, à afficher quelque peu élogieuse pour la photographe.
Pourtant je ne dois pas me soustraire. Continuer à photographier ce qui se propose. Ce qui s'échappe. Ne pas inventer autre chose.
Mauvaise humeur devant l'ordinateur bien entendu. Ce n'est pas ça !
Heureusement, je retrouve en feuilletant mon carnet des mots dont j'ai oublié qui en est à l'origine mais qui surgissent à bonne escient : LA PERSEVERANCE DU CRABE.
C'est exactement, les mots qui conviennent à ces notes : marcher en crabe et persévérer.
Déplacement - le mot s'est imposé alors que je me rendais à Vénissieux en tramway. Ce nouveau mode de déplacement (justement) m'invitait à entrer dans la ville différemment. Elle semblait s'être rapprochée de Lyon. A ce moment-là, je ne savais pas encore que l'Espace Pandora me proposerait une résidence (elle devrait se dérouler de septembre 2010 à avril 2011, à raison d'une semaine par mois). Je ne savais pas, je regardais la ville et j'avais plaisir à m'y déplacer. Depuis le mot déplacement poursuit son chemin dans ma préparation pour cette résidence. Il y a tous les déplacements physiques que propose la ville et qui peuvent inscrire chacun de manière singulière dans l'environnement : qui est celui qui se déplace ? pourquoi se déplace-t-il et comment ? est-ce forcément rester sur place lorsqu'on ne se déplace pas ? Bien sûr l'idée des déplacements intérieurs offre aussi un champ d'exploration intéressant : décentrer son regard, s'obliger à penser différemment, sans oublier la diversité de la population vénissiane qui vient raconter son lot de déplacements de territoires.
Déplacement, un mot qui met en mouvement le corps et la pensée. D'ailleurs, ce matin comme il faisait beau (vent qui déplace les nuages et fait jouer la lumière), j'ai remonté à pied la ligne de tramway qui longe le quartier des Etats-Unis et débouche sur Vénissieux avec son Asia Market, Carrefour Géant et un désordre d'usines, de cheminées, de voies ferrées et petites maisons qui rappellent l'intense activité industrielle et artisanale de la ville (quelques images visibles sur ma page Obsession Usine). J'y ai marché près de trois heures, un peu enivrée par la beauté de la lumière et la diversité des perspectives. Le résultat photo m'a déçu - savais-je exactement ce que je tentais de cadrer ? Une belle lumière est une alliée mais il manquait un regard. La résidence me donnera l'occasion d'y retourner. De m'y déplacer. Et de trouver ce que je ne cherche pas encore.
Nature morte. J'ai pensé cela en regardant la table que tu venais de quitter sans finir ton assiette. J'ai regardé ce qui restait devant moi. Tu avais envie d'être ailleurs, de te vivre ailleurs, c'est normal tu es si jeune. Je suis restée devant ton absence et j'ai pensé, on dirait une nature morte et j'ai été chercher l'appareil photo. Saisir cela : la banalité d'un repas du soir, même s'il y avait la volonté de cuisiner. Crevettes, nouilles chinoises, sauce citronnée. C'était bon. Mais tu avais autre chose à faire et... Pourquoi les mots de nature morte me sont-ils venus ? Ce qui désigne en peinture, il me semble, des mets ou des fleurs sur une table comme oubliés, raisin, pommes, verres vides ou presque, un animal tué parfois... du périssable. Et mon incompréhension souvent devant de tels tableaux. La photo saisit vite un telle composition, mais un peintre doit se confronter longtemps à cette vision. Exercice d'observation ? Mortification ? Nature morte. J'ai pris la photo. J'ai saisi cette nature morte et je l'ai mise en ligne, puis j'ai pensé que peindre ou photographier une nature morte, c'est être affreusement en vie. Alors c'est quoi qui se meurt ?