[le site de Fabienne Swiatly ]

Les bleus de l'enfance parce que jouer peut-être dangereux.

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Depuis quelques mois, mes doigts sont en état de sécheresse extrême. Ils s'échauffent, se gonflent, rougissent... Au marché de la poésie, je ne parvenais plus à feuilleter un seul livre au risque d'y laisser une trace saignante et disgracieuse. J'ai fini par consulter un médecin qui  a diagnostiqué une allergie au papier. C'est malin ! Je vois déjà François Bon ricaner et me refourguer sa liseuse de l'an passé : l'électronique ma vieille ! L'électronique ! Ayant quelques livres papiers à finir (bien une vingtaine de retard), je suis obligée d'enfiler des gants de coton. Mettre une distance entre moi et les causes de mon allergie. Littérature à pendre avec des gants. Ce n'est pas pratique mais cela donne un genre. Par contre, le pad de mon ordinateur est totalement insensible au charme des gants de coton, et il me faut les retirer pour m'en servir. Déjà qu'il y avait les lunettes... 

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Chef d’œuvre est un mot que j'ai du mal à lire ou plus simplement à comprendre. Il semble placer là-haut, quelque chose que moi, agnostique littéraire, je préfère situer à hauteur humaine - à côté de moi, éventuellement juste devant. Quand le journal Libération décrète que le livre de Christine Angot est un chef d’œuvre, je suis sidérée par la pauvreté du propos. Que j'aime ou pas ce livre, le qualificatif veut m'empêcher de penser. Il ne s''adresse plus à moi d'égale à égale alors que nous vivons dans le même présent. Il ne me laisse aucune place.Pour me défendre, j'imagine que comme dans les jeux d’enfants, celui qui dit c'est celui qui est. Car celui qui désigne le chef d’œuvre cherche simplement à se situer dans l'aura de l’œuvre désignée. Pourquoi pas. Chacun son égo. Sauf que sacraliser ainsi la littérature, c'est la poser sur un fragile piédestal. C'est en faire un objet muet et un tantinet obèse. Certain livres m'ont ouvert des chemins, nourri ma réflexion, étreint mon émotion sans que je les considère comme des chefs d’œuvre et encore moins, les imposerais-je comme tels aux autres. Ils sont avant tout des compagnons de route. D'ailleurs les musées sont remplies de chefs d’œuvre que l'on prend en photos à la va-vite ou que l'on ramène chez soi reproduits sur un mug ou un t-shirt. Oubliant que chef d’œuvre ou pas sans un regard impliqué de l'autre, il n'y a pas plus d'art mais de la simple décoration. 

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Fut un temps où l'écriture et la lecture étaient, pour moi, des activités qui se suivaient l'une l'autre : lire le journal, avancer le chantier d'écriture, lire le courrier, reprendre le chantier d'écriture, lire un livre, regarder le journal télévisé, écrire dans les carnets (qui m’accompagnaient aussi dans mes déplacements), relire le chantier d'écriture, lire un livre avant de m'endormir. Depuis quelques années, c'est souvent tout en même temps ou presque. Sur l'écran plusieurs pages, fichiers, onglets ouverts en même temps et des traces écrites que je laisse en divers lieux : sur mon site, ma page facebook, les articles sur Remue.net, les publications de Publie.net et bien d'autres sites. L'écriture souvent associée à la photo. Occuper le terrain avec d'autres écrivains pour que littérature ne soit pas qu'une question de marque de liseuse ou de tablette, mais bien une affaire de contenu, de propos, de revendication, de réflexions qui permettent d'exister et de mieux comprendre le monde. Pour que celui qui tape le mot esprit sur Google se voit offrir autre chose que le site et les lieux de vente d'une marque de vêtement. Ces nouveaux modes de diffusion et d'échanges suscitent de nombreuses peurs qui viennent s'agglomérer autour d'une question qui, à mon avis, n'est pas la bonne : le livre survivra-t-il au numérique ? Car je suis certaine de leur cohabitation. Il serait préférable de s'interroger sur la mission des passeurs (bibliothécaires, libraires, enseignants,  artistes etc) face à cette littérature contemporaine qui semblent nous échapper à ne pas vouloir se cantonner dans l'espace rassurant du livre papier. Il se trame de belles choses sur la toile, c'est parfois un peu désordre, c'est parfois chronophage, c'est parfois déconcertant, mais c'est souvent passionnant : et vous invite à écouter le propos de Lionel Pujol, bibliothécaire sur la médiaton numérique. Une histoire de pêche et de restaurant. 

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Récompense. J'ai été récompensée. J'ai eu un prix... J'ai ressassé ces mots la nuit dernière. Ce n'est pas le premier prix que je reçois mais c'est la première fois que j'y pense autant. Récompensée, honorée, gratifiée ... reconnue ? Je n'ai jamais été décorée. Mon père le fût, deux fois. Une fois par Wendel Sidélor pour y avoir travaillé toute sa vie. Il n'a pas été chercher sa médaille. Il bossait à l'usine depuis l'âge de 14 ans et trouvait sûrement injurieux cette simple breloque. Je ne suis pas un chien, disait-il pensant certainement aux médailles gravées que portent les animaux domestiques pour être reconnus. A sa veste du dimanche il portait la double palme des donneurs de sang (plus de 200 dons). Sa médaille du Mérite et du Dévouement, je ne sais même pas pourquoi il l'a obtenue mais c'est moi qui l'ai récupérée après sa mort. Toutes ces questions que l'on oublie de poser aux vivants ! De mon côté j'ai obtenu plusieurs prix pour mes livres par contre je n'ai pas eu mon baccalauréat (et pourtant c'est souvent lui qu'on réclame quand je veux travailler en certains lieux). J'aime bien dire que j'ai un copain qui a refusé la Légion d'honneur. Ma mère n'a jamais voulu la médaille qui récompensait les mères de famille nombreuse, elle n'aurait pas su dire le merci qui convenait étant donné son accent allemand. Et sa famille nombreuse, elle ne l'avait pas vraiment souhaitée. Le prix Collidram qui m'a été décerné, je le dois à une centaine de collégiens et quelques professionnels, et j'en suis fière. Oui je peux le dire ainsi et je crois que mon père l'aurait été aussi. Peut-être.  

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Cette photo m'émeut beaucoup sans que je parvienne à en cerner les raisons profondes. Collège Léonce Vieljeux à Les Vans en Ardèche. Une rencontre avec 80 élèves de 3ème. Deuxième jour de cours depuis la rentrée. Chef d'établissement sceptique, ce n'est pas lui qui a initié le projet. La convention a été signée avec le Festival Essayages alors il est contraint. Il m'accueille tout de même, me présente aux élèves ce qui est une démarche rare. Dans la plupart des écoles, collèges, lycées et universités où je suis invitée, le principal, chef, directeur etc. se fichent de ma présence, accaparés par les obligations administratives. Le cadre avant les contenus. Parfois même j'ai le sentiment qu'ils craignent que cela se passe mal et préfère ne rien en savoir. Très souvent je ne les voix pas. Donc, élèves de 3ème que j'invite à découvrir mon atelier d'écrivain. Je raconte le parcours, lis des extraits de mes livres, montrent mes carnets et journaux de bord, lis des extraits de textes en chantier. 50 minutes d'attention et quelques questions à la fin. A une professeure qui me félicite, je réponds une évidence : suffit de les intéresser. Car je n'ai pas oublié qui j'étais au même âge, traversée par le doute, encombrée par mon corps de femme en devenir, emballée par la professeure d'histoire que je trouvais belle et passionnante, mal menée par le professeur de maths qui me trouvait insolente et moche. Et souvent l'ennui. Alors je choisis des passages de textes qui peuvent entrer en résonance avec leurs peurs, leurs désirs, leurs doutes, je varie les rythmes. Heureusement je n'ai pas de programme à tenir, même si le principal m'a demandé d'être pédagogique ... Ce qui m'émeut également c'est qu'à cet âge, je doutais de mon avenir et j'aurais été fière de découvrir cette photo de moi plus tard. Heureuse de faire le métier d'écrivaine, heureuse de ce plaisir d'être avec des jeunes. Peut-être aussi que je possède nombreuses photos des élèves, des ateliers mais rarement de moi en action. C'est l'éditeur Yves Olry qui a eu la bonne idée de saisir ce moment. Comme tout le monde,  j'ai besoin de voir ce en quoi je crois, surtout pour les jours gris de l'écriture quand le doute empêche d'avancer. 
 
 

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Parfois les ateliers d'écriture ne sont pas une rencontre, parfois c'est raté et ce n'est pas forcément avec des classes dites difficiles, au contraire. Car c'est le plus souvent avec ces classes (où se retrouvent les pauvres, les immigrés et enfants d'immigrés, les mal-orientés, ceux des Zep, des Segpa, des Ulis et tous ceux des zones si joliment nommées zones sensibles...) que je parviens à être étonnée, émue, transportée et parfois aussi car cela a du bon, à être dérangée. Car ces jeunes qui se frottent au rugueux de la vie depuis leur plus jeune âge, ont déjà déployé bien des compétences pour avancer, tenir le coup, progresser. Et ma présence, mes lectures, mes propositions d'écriture les intriguent, les stimulent  car très vite, ils comprennent que la littérature exige une implication forte. Et je peux leur lire Edith Azam, Valérie Rouzeau, Wladimir Maïakovski ou Tarkos, et ils auront la curiosité d'écouter, de comprendre et d'être touché. Un mauvais élève n'est pas un cossard, au contraire, il faut beaucoup d'énergie pour continuer à en être quand on ne rassure pas l'institution. Souvenir d'avoir passé un dimanche entier à mettre à jour un quelconque cahier (contrôle du professeur) et pour gagner du temps, je recopiais une phrase sur deux à partir des notes de la première de la classe (celle qu'on donnait en exemple en cours ou pendant les repas de famille - et que j'ai revu trente ans plus tard, à moitié folle dans les rues de Metz et qu'elle avait ri de sa bouche sans dents quand je lui ai rappelé son statut de meilleure élève). Une phrase sur deux - d'où mon goût peut-être pour la brièveté. Ce sont les plus dociles qui parviennent à se glisser dans le tranquille du moule. Ils ne dérangent personne. Ils ont compris très vite les codes des dominants et reproduisent. Et quand ils sont majorité dans une classe, je sais que cela va être difficile. Dociles ils m'écouteront, ne feront pas de conneries, mais rien ne sera donné. Ils attendront la fin de l'heure et me laisseront seule, dépitée et parfois en colère. Ils sont dans le mou de l’institution : pas d'excellence, pas de répondant non plus. Et leur professeur espérait que mon intervention parviendrait à les réveiller, mais ce ventre mou est difficile à combattre, il est pétri d'habitudes, de peurs et de soumissions. C'est en réfléchissant à tous les ateliers que j'ai animés (des centaines) que j'ai fait le constat. Les bons souvenirs sont toujours liés à des classes dites difficiles. Alors je glisse ici un mot presque désuet pour conclure même s'il ouvre la porte plus qu'il ne la referme : insoumission. 

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Coudre des jours. C'est en lisant Lucarnes de Jeanne Bastide aux éditions l'Amourier  que j'ai découvert cette expression liée à la broderie, alors j'ai eu envie à mon tour de coudre des jours dans un carnet. Ralentir le temps, occuper mes mains et penser. Penser à ceux qui s'échouent sur les plages d'Europe, de Turquie, ceux que l'on nomme migrants. Bien sûr il y a l'urgence et il faut soutenir une association, aider financièrement, manifester, offrir un gîte ... mais il y a aussi écrire sur ça, autour de ça, à partir de ça pour que ça devienne visage, nom, prénom, pays, histoire. Alors le vocabulaire de la couture et de la broderie comme une porte possible : fil, chaîne, nœud, embue, point de soutien ... Tissu. Tissu social. Trames et lisières. Mêler du langage tout en cousant grossièrement, mais sérieusement des fils dans un carnet rouge. Ralentir le flux d'informations pour comprendre mieux et parvenir à se situer dans le temps présent. Ne pas devenir folle. Ne pas désespérer. Et se souvenir que sur la carte d'identité, jusqu'à l'âge de 12 ans, il était écrit réfugiée polonaise. Je n'ai pas vécu le drame de ceux qui fuient la guerre, les dictatures et la misère, mais tout de même. C'est à l'intérieur de moi. Alors la lenteur du point, le fragile du fil, relire les articles et noter ce qui semble important. Relier le tout. Points de suture. Coudre des jours pour éviter la panique : 
   " Regarde-les donc bien, ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays, toi qui à ton retour de voyage trouves ta chambre et ton lit prêts, qui as autour de toi les livres que tu aimes et les ustensiles auxquels tu es habitué. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel point le hasard t'a favorisé par rapport aux autres. Regarde-les bien, ces hommes entassés à l'arrière du bateau et va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation ; et tandis que tu leur adresses la parole dans leur langue, ils aspirent inconsciemment une bouffée de l'air de leur pays natal et leurs yeux s'éclairent et deviennent éloquents." VOYAGES Stefan Zweig 

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Je bute sur la réalité. Je ne sais plus les mots nécessaires. Je ne sais plus la nécessité des mots. Je ne sais plus… mais est-ce bien grave ? Veux pas en rajouter. Veux pas désespérer. Veux rester solide. Veux pas être avalée par les sables mouvants. Veux croire que lire, veux croire que partager, veux croire que la poésie, veux croire que faire ensemble ... Veux  croire que j'ai la force encore. Veux croire que cela va cesser tout ce mépris et surtout la méprise. Veux croire que mon prochain n'a pas tant de haine. Veux croire que les pauvres ne seront pas les ennemis des plus pauvres. Veux croire que demain ce sera une avancée. Veux croire que les mains tendues sont des mains ouvertes. Veux croire qu'ils retrouveront du courage. Veux croire que demain, veux croire que demain, veux croire que demain ...  je ne vais pas perdre toutes mes forces. Veux croire qu'un éclat de rire finira par déchirer l'épais manteau. Veux croire que nous redresserons la nuque et nous dirons : je ne sais pas ce qu'il faut faire, mais je ne ferai pas n'importe quoi pour autant. Veux croire que nous serons plus forts que cette désespérance qui nous fait replier derrière nos écrans. Veux croire, veux croire, veux croire et je l'écris et je l'écris. Veux croire sans être obligée d'inventer des dieux. Veux croire parce que je peux m'émouvoir encore de cette force qui me traverse et qui se nomme vie. Veux croire que dehors ne sera pas seulement un territoire hostile. Veux croire que nous pouvons faire encore ensemble. Veux croire que l'émerveillement est ce qui nous met debout chaque matin et pas seulement la nécessité des ordres donnés. Veux croire qu'ils ne supporteront plus d'assassiner leur propre peuple. Veux croire que l'étranger a des histoires à nous raconter. Veux croire qu'ils défendront le corps des femmes violées. Veux croire qu'ils cesseront de nous distraire avec des émissions humiliantes. Veux croire qu'il aura envie d'autre chose que des rires glacés. Veux croire que la pisse du sportif ne sera plus le centre du monde. Veux croire que la mer transportera encore des corps vivants. Veux croire que bienvenu ne sera pas un mot désuet. Veux croire que la difficulté ne nous rendra pas impuissant. Veux croire que nous sommes encore capables de faire un pas même si la pensée est lourde. Veux croire qu'à l'enfant on offrira des rêves sans lui marcher sur les pieds. Veux croire que l'argent amassé deviendra sable entre leurs doigts stupides. Veux croire qu'ils renonceront à nous traiter d'incapables parce qu'on arrivera à leur faire peur. Veux croire qu'ils aiment leurs enfants pas seulement parce qu'il sont signes de prospérité. Veux croire  que j'aurai la force d'écrire des livres comme des crachats sur leur mépris. Veux croire que je suis encore forte. Veux croire que le silence n'est pas une impossibilité de vivre en dehors des autres. Veux croire que ma vieillesse est une aventure personnelle et pas un investissement pour chercheurs d'or gris. Veux croire que l'enthousiasme ne permet pas seulement de passer dans un jeu télévisé. Veux croire qu'ils ouvriront enfin le bouton de leurs costards de jeune communion. Veux croire que s'appeler Jodee,  Zaïre, Espérance, Hanan.. provoqueront sur nos corps des frissons de curiosité. Veux croire que la courbe de consommation ne sera pas le seul indice de nos zones de plaisir. Veux croire que des films se tourneront, des livres s'écriront, des œuvres s'inventeront. Veux croire que la jeunesse ne se contentera pas d'être du sourire dans une publicité. Veux croire que la complexité du monde n'est pas  une crampe à mon imaginaire. Veux croire que les femmes se serviront de leurs talons hauts pour frapper ceux qui les regardent comme des idiotes. Veux croire que nous relirons encore et encore de la poésie. Veux croire que mes seins sauront s'émouvoir d'un main caressante. Veux croire que mon sexe restera une prairie humide. Veux croire que l'amour ne regardera que ceux qui s'aiment. Veux croire qu'on s'ennuiera à lire leurs pubs et qu'ils ne s’en rendront pas compte tout de suite. Veux croire qu'on se roulera dans la boue comme dans un bon vieux festival. Veux croire qu'on aura toujours honte de repousser un enfant qu'il tende la main ou pas. Veux croire que nous nous baignerons dans des eaux libres. Veux croire que mon enfant ne me regardera pas comme un poids dans son budget. Veux croire que la couleur de la peau est une possibilité de colorer le monde. Veux croire que sur Google le mot esprit nous proposera autre chose qu'une marque de fringue. Veux croire  … (travail en cours ... Forcément)

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Château de Chaumont sur Loire. Catherine de Médicis y a vécu, Madame de Staël aussi ainsi que le prince Henri-Amédée de Broglie. On visite la chambre du roi, de la reine, la salle de garde, la salle du conseil. Meubles d'époque, tapisserie restaurée. On s'y croirait. C'est impressionnant. Beau ? Je ne sais pas. Des artistes ont investi les lieux dont Sarkis qui s'est installé dans les combles, là où dormaient les domestiques. Peintures écaillées, restes de tapisserie, meubles poussiéreux. Dans les cuisines aussi des installations artistiques mais plus de traces des étagères, des crémaillères, des ustensiles. Comme dans nombre de châteaux, sont mis en évidence les modes de vie, les objets, les œuvres des nantis, des aristocrates. Les employés, les artisans... les petites gens qui trimaient, cuisinaient, entretenaient sont quasi inexistants dans l'histoire du lieu. Disparus. Quelques effets dans les combles et les oubliettes de l'histoire. J'avais vécu la même expérience au Havre avec une exposition sur la vie d'un grand paquebot dont j'ai oublié le nom. Des photos de voyageurs, des gros plans sur les personnes célèbres, la salle de repas, les ponts de première classe mais quasi rien sur le personnel et les marins. Pas de soutes, de salles des machines, de cuisines... Le monde du travail évacué de l'historique, de l'histoire. Il est certain qu'on prenait rarement son valet de chambre ou sa bonne en photo, mais il pourrait y avoir une forme de reconstitution ou des témoignages écrits. Ah mais que je suis sotte, je n'avais qu'à visiter un écomusée. L'éternelle histoire des classes sociales.L'oeuvre au centre de la photo est de l'artiste Sarkis

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La brume rendait l'approche plus lente, plus mystérieuse même le grand parking semblait moins imposant. On voyait la baie pas le mont. J'ai marché et raté la plupart de mes photos, trop excitée. Pas concentrée. Du monde mais pas trop, du moins pas sur la voie d'accès car une partie des touristes prenaient la navette gratuite. On entendait les oiseaux de la baie. A l'entrée du village tout est devenu moins bucolique. Les gens se sont jetés sur l'étal de bouffe le plus proche et rendaient l'entrée difficile. Le clocher sonnait midi. Le restaurant de la Mère Poulard était pris d'assaut malgré une salle sombre qui donne essentiellement sur le flot de touristes. J'ai fait marche arrière. Pas envie de me laisser envahir par des tas de réflexions vaines sur la consommation de masse, le pouvoir d'achat en action. Sur le monde qui serait plus simple à vivre sans les gens... Il faisait trop beau pour des propos de vieille aigrie. J'ai tourné le dos au Mont-Saint-Michel. Personne puisque c'était l'heure de manger sauf un couple avec photographes et guides, voyage de noces organisé dans les moindres détails. Une pratique chinoise il me semble. On sentait le stress, ne pas rater ce moment qu'il leur a coûté sûrement très cher. J'ai marché un peu plus vite et là, enfin, plus personne. Les oiseaux de la baie, le jeu de lumière dans l'eau, marée montante, du vent léger et frais. Tout était parfait. La sensation de bonheur a été comme une étreinte venue du plus profond de moi. Une main qui serre, sans blesser, le ventre, les poumons, le cœur juste avant les larmes. Une sensation brève où je me suis dis : Je peux mourir, là tout de suite. Mais c'est la vie qui avait le dessus. Je suis restée un moment à regarder des oiseaux en mangent une banane. J'ai regardé et je me suis promis de revenir tôt le matin, au lever du jour. Des sabots claquaient sur la route. Une paire de magnifiques juments Comtoises tiraient leur charroi de touristes. C'était bon à entendre.
 

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