[le site de Fabienne Swiatly ]

C'est l'ecchymose, douleur qui s'efface.

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Ne plus savoir très bien quoi penser et parfois dehors est difficile. Surtout en ville. Mais il faut bien marcher, se bouger, agiter la vie en soi. Surtout quand tu as le cœur chiffon. Alors la musique. Vitale. Nécessaire. Écouter ce qui va bien avec l'instant. Marcher vite. Écouter. Et le monde reprend un peu d'ampleur. Va ! Je me dis. Va ! comme le nom de la revue de poésie inventé avec Mateja Bizjak et Nicole Pérignon. VA ! parce que même quand cela fait peur, même quand l'avenir est embrouillé, même quand la nuit nous est interdite, même quand l'autre serait un risque à prendre, il faut bien aller. Avancer. Va ! Va ! Va ! et j'écoute la musique pour remettre de la fiction dans ce monde qui contient trop de statistiques, de tests, de trouille et de résignation. Une envolée de guitare et le jogger se déplie comme un conquérant, une retenue de violon et la femme qui s'égosille au téléphone devient l'oracle du présent, une contrebasse s'impose et mes larmes sont un appel à l'au-delà qui est une possibilité de guérir et pas seulement mon numéro de sécurité sociale. Le monde est plus grand que nos misérables peurs. L'amour est là, l'aventure est là, les batailles à mener sont là, la poésie est là, le faire ensemble est là. Mourir c'est depuis toujours. Qu'est-ce qui nous effraie tant ? Je mets de la musique parce qu'il ne peut y avoir comme seule réjouissance celle de nous enfoncer un écouvillon dans le nez. La musique pour reprendre des forces et me dire que tout est là. Et que ça VA ! Près du fleuve les arbres posés comme des pattes d'éléphants géants semblent m'observer. C'est cela, je veux des éléphants géants pour écraser ma petite peur, des oiseaux pour me décoller le nez des seules vitrines du nécessaire et de la musique pour me pousser de l'avant. Je suis forte. Vous entendez : Je suis forte ! Je vais même si c'est un peu de guingois. Et si je dois mourir que ce soit comme un être vivant.

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Journal du bord - 1er septembre - Tôt le martin, je marche en bord de Saône. Peu de monde. Lui arrive de face, en vélo, engoncé dans une parka, casque sur la tête, masque sur le visage. Il roule vite et me lance : Et ton masque ! Je l'ai baissé, étant seule sur le quai. Lui par contre roule là où c’est interdit aux vélos, alors je lui lance : Et la piste cyclable, connard ! J’enrage de tout mon ventre et de toute ma mâchoire. Excessive. Depuis quelques jours, j’ai des bouffées de colère, d’enragement envers la moindre personne qui déroge à tel ou tel règlement alors que moi-même... Je suis devenue intolérante. Rage qui se nourrit de ma difficulté à subir des obligations qui m’infantilisent, sans chercher mon adhésion. Subir des décisions comme si nous étions encore en situation de crise (ce qui n’est plus le cas) alors qu’il nous faudrait, surtout, apprendre la gestion des risques (en sachant que le risque zéro n’existe pas). Faire adhérer à des décisions est beaucoup plus efficace que de contraindre ou punir, sinon ce sera une responsabilisation de façade. Pour preuve, notre manière inappropriée de gérer nos masques (réutilisés plusieurs jours d’affilée, voire plus) Masques pour éviter le PV et permettre l'accès aux espaces publics. J'ai constaté aussi que les discussions, à ce sujet, sont d’une violence assez rare, comme si le monde était divisé en deux (les pour et les contre), et que forcément, la partie adverse est bornée et inconsciente ou, inversement, soumise et pleutre. Il y a quelques jours, j’ai eu une discussion un peu tendue avec une amie qui trouvait ridicule la demande des enseignants d’enlever le masque quand il y a deux mètres de distance. Comment peuvent-ils savoir s'il y a un mètre ou deux ? C'est du foutage de gueule, me dit-elle. Habituée aux salles de classe, je sais que l’enseignant, debout devant le tableau, est suffisamment loin pour parler à l'ensemble de la classe sans masque.  Mon amie a eu cette réaction car elle ne connait pas le terrain et moi, je n'a pas eu la patience de lui expliquer. Un poisson jaillit bruyamment de l'eau et me ramène au calme de la rive. Poisson que l’on ne peut pas manger à cause de la pollution de l'eau. Une pollution qui nous laisse globalement indifférents. Je respire profondément. Je veux être capable d’entendre une parole, constater un comportement qui n’est pas forcément le mien sans être envahie par de la haine ou de la colère. Je veux tenter encore et encore de penser que la complexité du monde, n’empêche pas de prendre des décisions collectives et sages. Un autre poisson ou le même jaillit à nouveau, je vois ses écailles briller avant qu’il ne disparaisse sous l’eau. Ce poisson bien qu'impropre à la consommation, n'en n'est pas moins vivant, puissant et terriblement beau.

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Journal du bord 3 (début mars) - Rituel du matin : ranger la roulotte (4 mètres carrés supportent mal le désordre) un peu de gym puis écrire. Il me semble avoir du temps. Un vrai temps devant moi. Sans aucune contrainte et même si je ne trouvais pas à l'occuper ce temps, je ne me sentirais pas coupable. Après l'écriture (Trois fois Saïd et ce bref journal) j'envoie un message à un ou une amie. Un message que je prends le temps de rédiger. Pas envie de téléphoner. J'essaie d'écouter un peu moins la radio. Les mêmes messages qui sèment de l'anxiété. Logorrhée des chiffres et des mauvaises nouvelles. J'ai arrêté aussi de lire H.P. Lovecraft - les messagers de l’apocalypse sont déjà assez nombreux sur les ondes. Je ne sais pas pourquoi, j'aimerais relire Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. 

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Journal du bord 2 (début mars ) - Je ne voulais pas tenir de journal et pourtant, je note, j'écris. J'ai ouvert un cahier. Je cherche encore la bonne entrée. Le terme journal DU bord, m'intéresse particulièrement car je m'interroge : Nous sommes au bord de quoi ? Six semaines. Le confinement pourrait durer six semaines. Écrire. Habiter l'inconnu. L'éloignement des autres. Quelque chose a lieu qui n'a encore jamais existé dans mon parcours de vie. C'est éprouvant. C'est excitant aussi. Avec lui, nous écoutons la radio toute la journée et le sort de l'Italie avec ses trois semaines d'avance nous intéresse particulièrement. Je fais d'étranges rêves et je n'ai rien trouvé de mieux que de lire la terrible nouvelle d'HP Lovecraft, La Malédiction de Sarnath.

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Journal du bord 1 (début mars) : Me voilà confinée dans ma roulotte en pays drômois. Sept hectares de prés et de forêt. Ce n'était pas prévu mais certainement le meilleur lieu pour traverser cette expérience. Je le sens. L'agenda me dit que le temps qui si souvent me manque, est enfin disponible. Mais ce n'est pas un temps de repos car, partout, sur les murs, les vitrines, les portes, les devantures, les écrans... s'affiche le mot nouvel ordre. Fermeture jusqu'à nouvel ordre... Et je ne peux empêcher l'expression Ordre Nouveau d'envahir mes pensées. A mon compagnon je lis Le Grand troupeau de Jean Giono. La boucherie de la première guerre mondiale. A la radio le compte journalier des morts, des contaminés a débuté.

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Confinement. Tout un pays confiné. Italie. Quelques heures d'ici. Ce matin, tout me semble vain sauf la danse. Mon corps en mouvement, en musique, en vie. Follement en vie. Tout le reste bien vain puisque la mort se rappelle à nous. Comment avons-nous pu oublier ?  Comme si l'effet miroir de nos photos, de l'appel des vitrines, de nos pauvres petits égos, se fissurait enfin. Je suis si peu, presque rien et pourtant miraculeusement vivante. Ça, seulement, ça. VIVANTE. Alors oui, il faudra bien couper les moteurs, ralentir le débit. S'arrêter et réfléchir. Laisser venir. Comme si ce virus nous offrait l'occasion de mettre nos systèmes, dits économiques, sur pause. Enfin sur pause. Et moi, ce qui me saisit, ce n'est pas l'angoisse, le désespoir mais toute la vitalité qu'il y a en moi, malgré oui malgré. Vivante. Putain je suis vivante. Alors j'écoute Deena Abdelwahed, Marcus Miller, Selah Sue, Brigitte Fontaine... et je danse de mon corps qui n'est plus jeune mais tellement vivant. Que cesse ce commerce qui met à mal la mer, la terre, les hommes et les femmes. Que cesse le cauchemar de nos faux besoins. Mettons nos corps en mouvement, on peut être ensemble sans se toucher puisqu'il faut garder de la distance. On peut épuiser nos faux désirs avec du muscle et de la sueur. On pourrait même laisser venir du son. Un son qui viendrait de loin et qui serait le plus beau des hymnes à la vie. Bouge mon corps. Bouge. Laisse monter ce que tu es à l'intérieur. Bouge, bouge. Nous sommes vivants et c'est ça la seule beauté du monde.

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Humaine, joyeusement humaine, terriblement humaine, indécrottablement humaine, délicieusement humaine, désespérément humaine car malgré la violence sociale, malgré les turbulences climatiques, malgré l'errance des plus pauvres, malgré la main-mise des puissants, malgré la bêtise crasse de ceux qui se veulent l'élite, malgré la violence faite à ceux et celles dites différentes, malgré malgré, malgré, malgré ... il suffit d'un ciel offert, d'un musique poignante, d'un livre saisissant, d'un rire partagé, d'un baiser profond, d'un regard vrai, d'une main tendue, d'une blague bien sentie et tout devient à nous vivable. Avec cette joie qui parfois me saisit. Cette joie qui me redresse la tête, m'ouvre les poumons et me rend un peu, beaucoup plus forte. Elle me met à hauteur de la vie. Je dois  bien cela à ceux et celles qui se sont battues et se battent encore pour que  mon horizon ne soit pas toujours bouché. Oui parfois furieusement, je sens le bonheur me saisir malgré, malgré... Cette sensation que rien ne me manque. Sensation furtive mais bien réelle. La vie. La vie, malgré, malgré. Et à mon tour, je peux me battre pour ceux et celles ...

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Un guide sur la Lorraine attire mon attention dans un Relay de la gare de l'Est. Ce guide je l'ouvre à la page d'Amnéville, car c'est la ville où je suis née, où j'ai vécu mon adolescence et elle traverse déjà quelques uns de mes livres. J'y ai vécu avant les thermes quand nous l'appelions encore Stalheim entre nous (foyer de l'acier), nom donné par l'occupant allemand. Dans le guide cette phrase est comme un trait tiré sur le passé : " On a du mal à imaginer qu'avant de devenir l'une des plus grandes stations thermales de Lorraine, cette terre était vierge de toute construction." Oui, ce lieu était la forêt où je jouais gamine. Effectivement, il n'y avait pas de construction, seulement des wagons abandonnés par les aciéries. Il y avait un crassier où on déversait le surplus des hauts-fourneaux. La ville n'était pas dans les hauteurs de la forêt mais dans son bas. Ville ouvrière où vivaient ceux qui donnaient leur corps et leur temps aux usines de la région. Il est vrai qu'il y a eu la crise des années 70, les licenciements et que ce fut étonnement de voir cette ville se transformer en un lieu dédié aux soins et aux jeux, alors que la jeunesse partait bosser dans les usines de Fos-sur-Mer. Le maire Jean Kiffer, celui qui souhaitait qu'Amnéville devienne principauté de Stalheim, déclarait aussi posséder des certificats psychiatriques comme quoi il n'était pas fou. Il était tristement célèbre pour avoir fait l'apologie du régime de l'apartheid après un voyage en Afrique du Sud. Ami de Charles Pasqua, il obtint facilement les autorisations pour l'ouverture d'un casino. La ville est proche des frontières luxembourgeoises, allemandes et belges. Rien de tel pour que l'argent circule généreusement. La ville ouvrière, n'a guère profité de cette exploitation commerciale. Ma sœur qui tenait un bar vers le temple protestant, a rarement vu entrer des curistes ou des touristes. D'ailleurs à la mort du maire, la ville a constaté (ou plutôt a été obligé de constater) que l'argent généré par le centre thermal allait dans la poche des privés et que la ville récoltait surtout des dettes. Jean Kiffer voyait les choses en grand, la ville possède le plus grand zoo d'Europe, malheureusement au cœur d'un récent scandale de maltraitance animale... etc. Ma sœur a fermé son bar couverte de dettes, et je me dis qu'il est peut-être temps de de reprendre le texte débuté il y a quelques années qui portait tout simplement comme titre : Amnéville. Une ville qui, après la première guerre mondiale a failli s'appeler Pétainville. Oui je crois que je tiens mon sujet. Les voeux du maire ici

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A la bibliothèque, j'emprunte Fragments de Marilyn Monroe. Des bouts de texte, des poèmes qu'elle écrivait sur des carnets, des cahiers, des feuilles à entête des grands hôtels où elle logeait. Textes inachevés qui souvent racontent, interrogent, creusent son état psychologique fragile. Son manque de confiance. Je ne suis pas une fan de Marilyn, d'ailleurs je ne suis fan de personne car je ne sacralise pas. Des humains, tous des humains et parfois des actes héroïques ou pas. Parfois des destinées singulières ou pas. Et si parfois je l'ai appréciée dans des film comme les Misfits de John Huston, il y a eu aussi des films où je détestais ce qu'on l'obligeait à faire. A être. Avec du vrai malaise face aux qualificatifs qui la décrivaient : hyper sexuée, sexe symbole, femme fatale, summum de la féminité, etc.  Elle fut surtout un objet de conquête permettant à certains hommes de pavaner devant d'autres hommes : moi, je l'ai eu dans mon lit (quitte à la dénigrer ensuite comme le fit Yves Montand). Sans oublier qu'elle a permis à de nombreux hommes de gagner beaucoup d'argent. Bien sûr, on peut dire qu'elle était consentant, mais jusqu'à quel point ? Car on connait bien sa fragilité psychologique. Malaise, encore, quand je lis dans le recueil, sa lettre adressée en 1961 au Dr Greenson, un an avant sa mort. Elle raconte un épisode vécu à la clinique Payne Whitney, alors qu'elle est enfermée dans le service psychiatrique (portes closes et barreaux aux fenêtres) : " Je n'ai de nouveau pas dormi de la nuit. j'ai oublié de vous dire quelque chose hier. Quand on m'a mise dans la première chambre, au sixième étage, on ne m'a pas dit que c'était une section psychiatrique (...) L'infirmière est entrée, après que le docteur, un psychiatre, m'eut fait un examen physique, y compris des seins pour voir si je n'avais pas de grosseur mammaire. J'ai protesté, sans violence, en expliquant que le médecin qui m'avait fait entrer, avait déjà fait un check-up complet." J'ai beau tourner cela dans tous les sens, je ne vois pas l'urgence à palper les seins de Marilyn alors qu'on est psychiatre et que votre patiente est dans un état mental inquiétant. Enfin, si, malheureusement, je vois bien où était l'urgence. Je referme le livre. Effroi.

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Six journées à trimballer livres, appareils photos, papier, crayons, lumières ... dans la prison, Benoit de Carpentier, photographe, et moi. Six journées à franchir les sas, les portes, les portiques, les escaliers ... à montrer notre carte d'identité, à enlever la montre, la bague, les clés, les chaussures pour pas que ça sonne au détecteur. Et ça sonne quand même et le soir découdre le soutien-gorge pour enlever les baleines en fer. Rappeler plusieurs fois à l'un ou l'une surveillante qu'on vient pour l'atelier organisé par Stimultania. Chaque jour se dire qu'on fera avec ce qui est, sans se laisser envahir par la colère ou le désarroi. Découvrir que sur les deux salles réservées, une seule est disponible, alors improviser un labo photo et un atelier d'écriture dans moins de vingt mètres carrés avec une quinzaine de personnes. Lire un texte à voix haute dans le bruit continue du tuyau de la chaufferie. Se casser le dos, se vriller le cerveau et  rire de ce que l'on a osé proposer aux participants-détenus dans l'espace restreint de l'atelier. Et qu'ils ont bien ri aussi. Et toujours  l'émotion s'invite (la vie... tout simplement la vie) car certains textes en disent long à travers leurs mots qui plient la langue française à leur vouloir dire, comme écrivait le poète Aimé Césaire. Et le dernier après-midi se retrouver dans le gymnase assis en rond sur le grand tapis emprunté au culte musulman autour de Fernand le gitan qui nous chante avec sa voix de ténor un chant qui convoque un humble moineau. Tous ensemble, oublieux du lieu ... et incroyable surgissement de la réalité, un moineau volète au-dessus. Il nous survole même pas effrayé. A ce moment-là, nous tous, malgré le dur des vies qui se retrouvent ici, nous tous, nous étions heureux. Photo©BenoitdeCarpentier

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Il est des villes comme des rencontres amoureuses, parfois il y a coup de foudre. Sentiment inexplicable mais tangible. Physique. C'est là et on ne peut pas lutter contre. De retour du Haut Adige et des Dolomites, j'ai traversé la ville de Gênes. Je n'en savais pas  grand chose hormis l'effondrement tragique du Viaduc Morandi en 2018. Je traverse la ville et je suis saisie. Prolifération d'immeubles (assez similaires au premier coup d’œil) singularité de la répétition de stores du même vert foncé. Une urbanisation qui donne à la fois un sentiment d'ordre et de chaos. Je traverse la ville et mes yeux sont happés, fascinés. Où est le centre ? Comment appréhender cette ville séduisante et inquiétante à la fois. Je m'imagine la conquérir à pied malgré son immensité, ses entrelacements de montées, d'escaliers, de recoins. J'hésite à m'y arrêter de suite car il fait très chaud. Lourd. L'air semble chargé de sable. Je voudrais me baigner, je longe la ville par sa côte plus de 40km de long, mais je n'arrive pas à trouver un endroit où me poser. Les plages privatisées où il faut louer transat et parasol me découragent. Trop de monde Trop de bruits. J'abandonne et repars dans l'autre sens, les avenues sont larges, ça circule bien. Je n'ai pas encore la bonne énergie pour rencontrer cette ville. Je reviendrai. Direction Sanremo et la frontière française. Mes yeux enregistrent, happent les dégradés d'ocre, les villas cossues et les maisons lépreuses, l'étonnant du port. Oui je reviendrai et Gênes viendra se déployer dans le texte que j'ai repris :  Jusqu'où la ville ? Une évocation fragmentée et très subjective de Lyon, Marseille, Saint-Nazaire, Berlin et maintenant Gênes. Le livre de Benoit Vincent : GEnove, villes épuisées publié au Nouvel Attila sera mon guide. Oui y retourner et peut-être que soufflera la Maccaja, ce vent où se mêlent chaleur et humidité. Peut-être. Mon excitation est joyeuse et créative.

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Membre fantôme. C'est ainsi qu'on nomme le membre amputé qui reste présent de manière sensible, nerveuse dans le corps jusqu'à provoquer des douleurs. J'ai découvert qu'un corps social pouvait ressentir un membre fantôme. Comme femme je l'ai identifié petit à petit. Rien à voir en tout cas avec la présupposée frustration féminine quant à l'absence de pénis entre ses jambes. Surtout depuis que j'ai appris que je possédais également un bel et grand organe intérieur. En fait depuis l'enfance, j'ai été amputée d'une part de l'histoire, de l'héritage des femmes, réduites à celle de mères, épouses et autres seconds rôles. Il y a eu quelques exceptions comme les figures de Georges Sand ou Marie Curie qui servaient de paravent puisque l'exception confirme la règle. Et j'ai cru ceux, parfois des hommes de savoir, qui prétendaient que les femmes n'avaient jamais produit de grandes œuvres car tenues à l'écart de ces activités. Depuis quelques années des femmes chercheuses, historiennes, sociologues, artistes... déterrent le nom et l'histoire de nombre de femmes qui en d'autres temps se sont appropriées les arts, les sciences, le travail sans qu'on veuille en garder trace. Heureusement mes sœurs fantômes retrouvent voix au chapitres et me rendent ainsi l’entièreté de mon corps. Très récemment ce fut avec le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, où on voit des femmes faire ou tenter de faire œuvre. Avec cette séquence éloquente où trois femmes décident en plein 18ème siècle de peindre un avortement (Ce tableau a peut-être existé). Puis il y a eu un passage du Livre Sorcières de Mona Chollet où elle nous invite à ne  plus dire qu'au Moyen-Age on brûlait des sorcières mais qu'on brûlait bel et bien des femmes. L'importance des mots, du choix des mot. Une simple phrase qui remet l'histoire à l'endroit et depuis je comprends mieux ce qui a été perpétré à l'encontre de femmes qui avaient pour certaines du pouvoir ou un pouvoir. J'ai vécu longtemps dans l'ignorance. Et maintenant, je m'interroge sur cette volonté de réduire la place des femmes. Parfois même de les effacer du tableau. Un effacement qui récemment s'exprimer dans une forte réticence à féminiser certains noms de métier. Au nom de quoi exactement ? Pour quoi exactement ? Je repense aux militantes des années 70 qui scandaient : Mon corps m'appartient ! Et nous pouvons ajouter maintenant : encore fallait-il qu'il fusse entier...

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Les cimetières comme lieu de promenade, d'inspiration. Petite déjà c'était un espac de liberté pour moi. Ma mère frottait la pierre, changeait les fleurs et moi je courais sans surveillance entre les stèles. Dans chaque allée une découverte : les poèmes tendres et kitsch gravés dans le marbre, une sculpture originale - sûrement un artiste,  des prénoms qui convoquent la fin du 19ème et le début du 20ème siècle : Augustine, Abel , Léontine, Aimé, Étiennette, Modeste, Paulette ... Les tombes des grandes familles qui en imposent jusque dans la mort ou encore ceux qui précisent les métiers : égyptologue, archéologue,musicien. Des médailles et titres honorifiques. Des traces de franc-maçonnerie. Parfois une stèle où la date du décès est la seule information,  rappellant l'anonymat de certaines morts. J'avance au hasard, m’arrête ici ou là, et parfois l'émotion des vies qui se comptent en jours : A mon petit Bonhomme. Dans les cimetières, je pense à la vie, je me sens en vie.  Formidable réservoir à histoires. Au cimetière de Loyasse dans les hauteurs de Lyon, la vue sur la ville y est superbe. L'ambiance sereine. Beaucoup d'oiseaux. Et on y trouve toujours de l'eau potable et des toilettes. Parfois on s'étonne d'un nom suivi d'une date de naissance mais celle de la mort reste en suspend. Ces personnes viennent-elles parfois sur leur propre tombe ? Apprivoiser leur mort ? Il y a aussi les prêtres qui ont droit à un carré aménagé grâce aux subsides d'une riche famille lyonnaise. Que des hommes (j'ai pu poser un caillou sur la tombe de  Luc Moreau qui fut aumônier à la prison et militant de l’Observatoire International des Prisons, l'OIP. Nous étions amis.) Les sœurs, les nonnes sont regroupées dans des tombes communes, et cette inscription sur l'une d'elle :  Servantes du Saint Sacrement. Les servantes de l’église. Ce qui nous confirme le peu charitable sexisme de l'Institution. Observer discrètement aussi ceux qui viennent entretenir les tombes, des femmes le plus souvent. Femmes au service. Et ce jour-là un enterrement avec en musique de fond du rap écouté fort par les ouvriers du chantier d'à côté. Et enfin cette photo sur une stèle aux inscriptions illisibles. Ce beau gars qu'on croirait sorti du film Querelle de Fassbinder. Une gueule d'amour. Un homme sans nom, sans dates, sans épitaphe et qui vient exister un bref moment sur ce blog. Tout un monde à quelques pas de la basilique de Fourvière. Je m'y promène comme dans un livre d'histoire.

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