[le site de Fabienne Swiatly ]

Le fond d'écran de l'ordinateur qui aspire.

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Déménagement. Tout le dedans des placards, des armoires, des tiroirs, des commodes qui se retrouve dehors. Le trop accumulé dont il faudra bien se défaire cette fois-ci, pas assez de place dans le camion. Quatrième déménagement en trois ans et toujours les mêmes papiers, livres, lettres, souvenirs que je ne parviens pas à jeter. Apprendre à se séparer, à s'alléger, ne plus s'encombrer. Donner, jeter, revendre... Je me le promets et repars tout de même avec les mêmes cartons  de tout et de rien qui se feront oublier dans la cave. Dans mon prochain livre qui paraitra en septembre, un passage raconte déjà la tristesse à vider un appartement, celle d'une vieille dame partie en maison de retraite : 
L'efficacité avec laquelle les objets furent triés, rangés et débarrassés nous laissa épuisés à la fin d'un week-end. Chacun repartant avec son misérable lot de souvenirs, les yeux rétrécis par une tristesse poussiéreuse. Et l'appartement vidé qui révélait le jauni des tapisseries, la saleté des recoins, l'inutilité des choses cumulées. Nous avion démonté le décor d'une existence, il fallait nettoyer maintenant. 

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Se tenir à distance de la conversation médiatique. Taire les noms qui circulent de plus en plus et veulent désigner un groupe imaginaire, celui qui serait coupable de nos maux "français". Trouver des mots qui entrent en action et se tenir au bon endroit. Refuser haut et fort la rumeur et ouvrir l'espace. Ne pas nourrir la chaîne de la peur. Mais les mots me manquent. Difficiles à convoquer sur la feuille. Mal au ventre. Comment endiguer la vague de fond de cette peur vile qui racornit le monde. Je vis dans un pays gris. J'y vis depuis ma naissance, je suis donc responsable aussi. Agir. Réagir. Les mots me manquent. Relever la tête. Sourire. Ne pas baisser la garde. Surtout pas. Pour ma prochaine résidence, j'ai proposé le thème : le rêve est-il soluble dans le présent ? Rêver. Élargir l'horizon, inventer plus loin que la rigueur et la peur. Pourtant il me semble, aujourd'hui, alors que le soleil nous ramène au printemps, alors que la semaine passée en famille fut légère, alors que je me sais aimée et aimante, il me semble n'avoir plus de mots pour me défendre. Pour nous défendre. Ma bouche est grise.

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La classe n'est pas en silence, je rassure la prof, cela ne me gêne pas. J'arrive toujours, à un moment ou à un autre, à les ramener vers moi ou la page. Je comprends que cette agitation n'est pas tenable en cours, mais pour l'atelier cela donne parfois de l'énergie au texte. Et surtout je ne me vois pas hurler ou sévir. Propositions à partir de I Remember de Joe Brainard et de leur premier jour au lycée à Vaulx-en-Velin. Les mots fatigue, tristesse, décalage, peur dans leurs écrits, si peu souvent les mots de l'enthousiasme. D'abord Aissia que je vois écrire sans relever la tête, longtemps, concentrée malgré les bavardages des garçons : Je me souviens des chaussures du prof ; laides. Eux doivent se souvenir de ma chaise souvent vide. Le texte déplie ainsi solitude et dégoût. Puis Krestnik lit son texte avec un très léger accent et cette phrase que j'ai retenue : en Albanie, le maître du CM2 me donnait des claques, en France le maître m'a donné un stylo et des feuilles. Puis la sonnerie qui interrompt, envolée de jeunes vers le dehors. Certains disent au revoir.  Krestnik a oublié de me laisser son texte, je demande à la prof de le récupérer le lendemain. Elle me dit qu'il y a peu de chance qu'elle puisse, il passe en conseil de discipline ce soir et sera très certainement renvoyé. A moi de recevoir une claque.

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Vivre une révolution en direct - comme nous avons vécu les massacres en Bosnie, le Tsunami en Thaïlande, les tremblements de terre à Haïti... S'abreuver d'émotion. Partager le direct à l'abri derrière un écran. Bien sûr, je me réjouis (le mot est faible) pour ces peuples que nous avions pris l'habitude de regarder comme le décor de nos voyages, mais je me sens peu fière de notre (de ma) molle indignation face à nos élus qui semblent ne rien comprendre à tout ça, qui se précipitent derrière leur  propre écran pour nous parler d'autres choses. Non-ingérence, disent-ils. Et nous nous enivrons de Facebook, de Twitters, de mails - nos culs rivés à la chaise ou au fauteuil de bureau. Aujourd'hui, je me pose la question de savoir quelle implication j'ai dans ce qui se passe là-bas à Tunis et au Caire ? Il me semble n'être qu'une spectatrice de tout cela, enthousiaste certes, mais passive. Spectatrice, rien d'autre. Comment se fait-il que nous restions  à la fois si solidaires et inactifs derrière nos écrans ? La révolte de ces peuples, est-ce aussi notre histoire ? "Je nous cherche" est le thème de l'atelier que j'anime au NTH8. la question est à l'œuvre dans mon actualité. 

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Le jus d'un texte. Un texte avec du jus. Texte habité. J'écris, je note, je réécris. Pas de jus. J'habite pas. Le mot jus, le mot habite. énervant. Je ne vais pas encore parler d'eux. Le père, la mère. C'est énervant. Écriture nerveuse sur le papier. Justifiée ici sur l'écran. Habité par son père, habité par sa mère. Bravo. Quel jus  ! J'ai dit déjà beaucoup et c'est pas tout  ? J'ai dit le plus facile. Le père, la mère qui n'avaient plus de jus. Arrêter. Les mots s'accumulent sur mon site, dans mes fichiers. Les mots s'accumulent partout. Beaucoup. Retenir quoi ? Dans les rues de Tunis, du Caire des mots simples qui terrorisent les auto-élus à vie. Alors mes petits mots sans jus. Creuse encore. Relis. Relis les autres. Jacques Dupin me hante. Non, il m'électrise. Il donne du jus. Vraiment bravo les mots. Je veux autre chose que les clichés. Les jeux de mots à deux sous. Je veux. Je veux le jus des mots. Se nettoyer. Lire quand l'écriture mollit. Lire. Lire Jacques Dupin : Écrire sans point d'ancrage, sans point de mire, risque absolu, espace ouvert... précipice de la langue

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L'envie d'un voyage d'écriture et de photos dans les lieux communs de ma vie : centres commerciaux, gares, cimetières, parcs, transports urbains, facultés, musées. Les lieux où l'on peut rester  sans se faire remarquer. Lieux communs dans le sens de lieux publics, lieux à tous. Regarder, noter et y rester au moins douze heures. Tenir un journal de bord. Première tentative ce matin. 6h, dans le matin froid qui est encore la nuit, je prends un premier tram vers Vaulx-en-Velin la soie. Puis un bus, jusqu'à Azieux, banlieue-est où les pavillons se construisent bien serrés, sans imagination, là où ce fut avant Les grandes terres. Dans mon sac à dos, un ticket Liberté un jour à 4,80 euros, mon portefeuille, une bouteille d'eau, un Opinel, de quoi écrire. Appareil photo (un compact) à la main. Et je vais ainsi me laisser transporter pendant 4h 30, dans le bus, le métro ou le tram. Je suis loin de mes 12 heures, mais je n'avais pas prévu un tel froid. Et le froid prend le dessus, impose son diktat, je tremble, je ne vois et n'entends plus rien. Je suis engourdie. Je pense à ceux obligés de dormir dehors par un tel froid. Insupportable. Sensation douloureuse. Je ne veux pas tomber malade. Alors je rentre chez moi, thé, bain bouillant. J'ai du mal à retrouver l'apaisement. Tentative ratée, même si j'ai accumulé pas mal de photos et de notes. Il faudra recommencer. Choisir un temps plus clément. Des vêtements adaptés. Le jour est coché sur l'agenda. Retourner dans les transports ou un autre lieu ?  Nous verrons. Le jour est retenu, c'est déjà ça.

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Juste une photo. Rien de particulier à résumer ou beaucoup trop. L'écriture ailleurs que sur le site. Chantiers nombreux. Roman qui se finit : Unité de vie. Poésie qui se poursuit : J'ai beaucoup dansé. Écriture théâtrale qui a vécu une première étape de lecture au Théâtre de Vénissieux : Si tous les gaullistes se donnaient la main. Étoffer le contenu, radicaliser l'écriture. Espérer une résidence. Pas de propos précis. Juste la photo sur le périphérique de Marseille. Un classique, de soi dans le rétro de la voiture. Fin décembre. Lumières douces pour qui vient de plus au nord. Marseille, une ville que j'aime, même si je l'appréhende difficilement. Elle m'intimide. Se heurte à une accumulation de clichés. Une photo, donc. Il faudrait écrire sur d'autres lieux : Tunisie, Haïti, Côte d'Ivoire. Les lieux de l'actualité. Il faudrait écrire aussi sur ceux qui ont quitté le haut de la pile : les réfugiés, les sans travail, les sans argent, les sans abri, les sans espoir, les sans avenir... Mais j'ai mis la photo de Marseille et sur la table de travail les autres textes. Relire, corriger, écrire, penser à de nouveaux projets. Lire aussi le mode d'emploi du nouvel appareil photo. Se préparer un thé, écouter de la musique. Redresser la nuque, le dos. Souffler. Regarder la photo. Rétroviseur. 

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La poésie avait un lieu au coeur du grand centre commercial de Lyon. Une salle où rendez-vous nous était donné par Patrick Dubost et ses invités. Les deux derniers invités auront été Charles Juliet et Bernard Noël, le 15 décembre. à l'initiative de la Cause des Causeuses. Puis, l'homme a été congédié, sans discussion ou rendez-vous préalable. Économie budgétaire, repli sur l'équipe interne. Sans douter des compétences des bibliothécaires (à la médiathèque du Bachut et celle du 2ème, Michel Reynaud et Béatrice Brérot se démènent pour qu'existe la poésie avec un budget minimum voire minimaliste. 5000 euros c'était le budget annuel pour rétribuer les poètes invités sur cette Scène, couvrir les frais de déplacement et rémunérer le travail de Patrick Dubost. C'est peu par rapport au budget global de la médiathèque. Supprimer un rendez-vous poétique, en plein milieu de calendrier, sans que le nouveau directeur n'ait rencontré l'intéressé, on peut trouver la méthode douteuse. Je dirais même peu humaine. Quelle était l'urgence ? Ce rendez-vous comme lecteurs, auteurs, usagers de la bibliothèque, on y tenait, on y venait en confiance car il y avait le savoir-faire de son organisateur. J'y ai fait des découvertes, des retrouvailles, parfois je m'y suis aussi ennuyée, cela fait partie de l'exercice. J'en ai été l'invitée et ce fut une chambre d'écho importante pour moi. Toujours, il y avait du monde.  Je ne désespère pas sur l'énergie que déploieront ceux et celles qui aiment, écrivent, lisent la poésie et que je croise, notamment au Cabaret poétique du Périscope. Un public varié en âge, ce qui est rassurant. Nous inventerons avec ou sans la médiathèque. Avec ou sans Bertrand Calenge, son directeur intérimaire. Mais nous ne céderons pas aussi facilement ce bout de territoire qui nous est cher, qui est notre espace à nous public et contribuables. La pétition est à signer ici et je sais que l'on dira aussi tous ces mots à voix haute, ici ou là.. Les écrivains ne se cachent pas toujours derrière l'écran ou la feuille. Pour plus d'infos, lire le site de Frédérick Houdaer.

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Pour clore l'atelier du lycée professionnel Marc Séguin, avec l'enseignant, Samuel Delors, nous avons prévu une sortie avec lecture des textes au Kotopo, espace culturel international. Nous  avons choisi la Croix-Rousse dont  nous aimons l'esprit alternatif et ses ouvertures sur la ville.  Ils auraient préféré le centre commercial de la Part-Dieu. Groupe d'une vingtaine de gaillards qu'il faut tenir dans le métro surtout lorsqu'on croise un groupe de filles. On marche. Il trouve que la Croix-Rousse ça fait pauvre. Leur crainte souvent qu'on les stigmatise comme des pauvres, des exclus. On explique les démarches alternatives, la coopération, les Canuts et notre attachement au quartier... Leurs yeux nous quittent souvent pour regarder celui de l'écran du téléphone. Au Kotopo, lecture de leurs textes et la surprise des organisateurs qu'ils soient capable d'écrire des choses aussi fortes. Puis il est l'heure de repartir, je reste pour ranger les lieux. De la fatigue, du doute, les tenir en groupe n'est pas facile. Oui, je suis fatiguée. Quelque chose de serré dans la gorge. Denis m'offre un verre de vin. Peur de ne pas en avoir fait assez. L'envie de réparer le monde à moi tout seule. C'est idiot. Ouvrir quelques portes, c'est tout, et on ne peut obliger personne à y passer. Je ressasse la phrase de Yanis qui parle souvent la bouche en fermeture :  je voudrais que l'amour rencontre ma vie. Lui, non plus, n'imaginait pas écrire une phrase pareille. D'ailleurs, il faut cesser d'imaginer leur avenir, mais leur donner l'occasion de s'en inventer un. Le vin m'a fait du bien. 

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Passage de l'an à Marseille. Visiter, revisiter la ville dont j'aime que le centre soit encore celui de la mixité sociale. Certainement que le coup de balai de l'immobilier viendra vendre aux plus nantis le pittoresque d'une ville sans les nuisances, mais cela devrait demander un certain temps. En attendant ça grouille, ça bruite, ça achète, ça vend, ça jette, ça s'interpelle, ça marche,  ça déambule, ça klaxonne. Ville qui monte, descend, se resserre surs des avenues aussi étroites que des traverses, pour s'ouvrir, forcément, à un moment ou un autre sur la mer. Dans la ville, j'ai visité le cimetière Saint-Pierre, immense : 65 hectares. Balade avec ses surprises kitsch en forme de pleureuses, de baisers sur mourante, d'angéliques sourires, de regrets éternels gravés dans le marbre, le stuc, la pierre et le plastique. Les cimetières que j'aime parcourir à chaque fois que j'arrive dans un nouveau lieu. Rien de morbide. Des bouts d'histoires côte à côte. Ici l'influence italienne, arménienne, maure et de nombreuses photos avec parfois un défunt. La mort que l'on ose montrer. Dans le carré de la pinède, le plus joli, la tombe d'Antonin Artaud ou du moins celui de sa famille.. Caveau familial. Des rumeurs comme quoi, son corps serait ailleurs. Mais sur les forums, un membre de la famille confirme Artaud est bien là ou ce qu'il en reste. 

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Je termine l'écriture de mon texte Unité de vie. Le personnage principal est une réfugiée bosniaque, je ne sais plus comment ce pays s'est imposé dans mon histoire mais j'ai su que c'était primordial quand le vendeur de la Fnac m'a dit, alors que je cherchais un livre sur la guerre en Yougoslavie et que je ne trouvais rien : c'est bien loin tout ça. Des centaines de milliers de morts déjà oubliés alors que les corps n'ont pas tous étaient retrouvés, enterrés. Depuis je lis Velibor Čolić et le blog de Dzana qui raconte, avec une grande simplicité et précision, ce que fut son quotidien avant et pendant la guerre à lire ici. Je regarde des vidéos dont le remarquable : La terre a promis au ciel de Sabina  Subasic et aussi l'étonnant Un pont sur la Drina de Xavier Lukomski, un plan fixe sur le pont et des voix qui racontent comment ils repêchaient chaque nuit, des cadavres jetés dans l'eau par l'armée serbe. Aujourd'hui encore, régulièrement en Bosnie sont découverts des charniers. Des hommes et des femmes volontaires, avec un grand respect et une belle obstination, déterrent des os, des bouts de vêtements, des restes de papiers pour redonner un nom aux morts, et des corps aux familles. Musulmans de Bosnie assassinés, déportés, disparus par ceux-là même qui étaient leurs voisins, leurs amis. Ce n'était pas :  il y a longtemps. C'était hier. Emportés par la guerre, emportés par les eaux de la Drina, emportés par la haine, emportés par le flot des informations. Dissous dans notre mémoire obèse qui engloutit tout et digère mal. On est sûr maintenant que  savoir ne change rien.  

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J'ai beau frapper dur sur le clavier, seul le mou du texte s'affiche sur l'écran. S'obstiner. Je vais chercher dans la bibliothèque Antonin Artaud à la rescousse : On me parle de mots, mais il ne s'agit pas de mots, il s'agit de la durée de l'esprit. / Cette écorce de mots qui tombe, il ne faut pas s'imaginer que l'âme n'y soit pas impliquée. A côté de l'esprit il y a la vie, il y a l'être humain dans le cercle duquel cet esprit tourne, relié avec lui par une multitude de fils...  / J'ai choisi le domaine de la douleur et de l'ombre comme d'autres celui du rayonnement et de l'entassement de la matière. / Je ne travaille plus dans l'étendue d'un domaine quelconque. / Je travaille dans l'unique durée.

Sur mon bureau traîne ma carte d'identité et je me dis que dans notre pays, déjà on ne sourit plus. M'en fous, aujourd'hui, je danserai devant la glace. J'écouterai The Kills et redirai avec Artaud : toute la littérature est de la cochonnerie. 

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Ce bonnet que je sors les jours de grand froid et qui, à chaque fois, me fait sourire. C'est un bonnet en laine tricotée main que m'a donné un jeune Afghan à Calais. J'étais partie en 2004, voir sur place la réalité des réfugiés dans cette ville où la côte anglaise se laisse voir certains jours. J'avais pris en photos les vêtements oubliés, jetés par les réfugiés, un peu partout dans la ville. Des vieilles dames leur tricotaient des bonnets. Les  plus jeunes refusaient de les porter. Ils avaient constaté qu'aucun jeune de la ville ne portait un bonnet de la sorte, et qu'ils se feraient remarquer de suite par la police. Ils préféraient les bonnets avec des marques. Comme j'avais froid à la tête, un jeune garçon m'a donné le sien. Il avait le visage mangé par une maladie de peau. Les stigmates des nuits passées dehors sans pouvoir se laver. La gale le plus souvent. Je n'ai pas eu peur de la maladie et j'ai pris le bonnet.  Il a eu un merveilleux sourire. Il ne parlait pratiquement pas français, alors il souriait. Quand, j'enfile le bonnet, je pense à lui, à eux et à tous ces nouveaux aventuriers de la terre. Ceux de l'errance. Je pense à leur courage, à leur obstination. Je souris pour que la vie ne me mette pas toujours à l'étroit.

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