La caboulotte 17 - Écrire alors qu'il n'y a rien à dire. Mais écrire c'est peut-être cela : chercher ce qui ne se dit pas. Je relis cette dernière phrase et me dis : foutaise ! Un mot que j'emploie souvent en ce moment. Je le décortique : fou d'aise, se foutre d'aise, les fous se taisent ? Écrire sur les choses qui ont peu d'importance. La bagatelle. Le non-événement et honorer le rendez-vous d'une chronique tous les quinze jours sur mon site et les réseaux sociaux. Orgueil ? Sûrement. Assiduité, obstination aussi. Il fait froid dehors (- 8 la nuit), heureusement il fait bon dans ma caboulotte mais le corps a du mal à quitter la chaleur du lit. Couette épaisse, nombreux coussins et plaids. Une citadelle de tissus chauds. Je me force. Les journées sont courtes encore. D'abord un café, un peu la radio puis ma gym. Mais quelque chose résiste aujourd'hui. Tout est laborieux. Je me force. Moulinets des bras pour muscler les biceps, un peu en biais pour ne pas cogner dans le placard. Mouvements au sol sur le tapis coincé entre la table et la porte. Espace restreint. Ce matin ça ne veut pas. Mon corps regrette le lit. Gestes mécaniques. Dehors le givre, le froid et aussi le soleil. Pas envie de perdre mon temps. J'enfile sur mon pyjama à carreaux un sweet jaune moutarde, par dessus une veste de laine orange, à mes pieds des grosses chaussettes vert épinard, autour du cou une écharpe rouge et enfin mes grolles lestées de boue sèche. Tant pis pour la tenue extravagante et inhabituellement colorée, c'est avoir chaud qui compte. Et l'alouette du matin s'en fiche dédaigneusement. Elle bouffe. Je marche d'abord puis cours entre les arbres, je bois le froid et la lumière. Je prends l'air. Le givre recouvre tout. Exalte les formes. Le mot beau me vient. C'est un mot fourre-tout. S'en méfier. Dans la langue française tout est si facilement beau. Froufroutement vers le compost, un lièvre s'extrait du bac et fuit dans les fourrés. Je bois l'air, je bois le paysage. Ma vie n'a rien d'exceptionnelle et pourtant j'aime la mettre en mots. Écrire, donc, même s'il n'y a rien à dire. Être au monde et, pourquoi pas, écrire des foutaises.
La caboulotte 16 - Ce banc est un endroit où je viens souvent m'asseoir pour profiter du soleil et du paysage. Idéal pour déguster un café ou se lancer dans quelques exercices de gym. Pendant que j'avale mon café, je constate que de nombreux oiseaux s'activent au sol, essentiellement des mésanges et des rouges-gorges. Plus de moineaux. L'oiseau si banal de mon enfance est en voie de disparition. Un léger redoux semble leur offrir de quoi manger (graines ? insectes ?). Ils sont presque invisibles et c'est leurs mouvements qui indiquent leur présence. Café fini, je pense au linge à étendre. Dans les sanitaires, une vieille machine à laver qui me pose pas mal de problèmes depuis quelques semaines et, aujourd'hui encore, je constate que l'eau n'a pas été évacuée. Je vérifie, dévisse, revisse, vide l'eau manuellement. Je tente un nouvel essorage. Rien. A l'ouverture du tambour, celui-ci tourne et finit par se coincer. Je tente de le débloquer. Rien. J'essaie de démonter la machine pour avoir accès à l'ouverture. Je prends mon temps et vais jusqu'à dessiner l'emplacement des vis pour faciliter le remontage. Mais impossible d'accéder au linge. La colère me prend. Je veux mon linge ! Alors je me saisis d'un marteau et je défonce, dézingue la machine. Grand coup dans la tôle, grand coup dans le plastique. Bien sûr la machine était à changer, mais je me surprends par ma hargne. Sur quoi je cogne exactement ? Sur qui ? La liste est longue. Je finis par récupérer mon linge. Un grand calme prend place en moi. Je rassemble les débris, les trie puis je nettoie le sol. Je soigne aussi mes mains écorchées. J'étends le linge miraculé et retourne sur le banc. Je me dis qu'il vaut mieux dézinguer une machine à laver que des personnes vivantes. Mais tout de même, quelle est cette colère dont je suis capable : frustration, honte, chagrin, peur, dégoût ? Un peu de tout. Un peu de trop. Il me faudra donc aller à la déchetterie, les gars se demanderont peut-être comment une machine à laver peut finir dans un tel état. Rien à voir avec l'obsolescence programmée.Ceci est bien l'œuvre de ma colère. Bon débarras ! En partant, je ferai un signe à la benne des encombrants car elle est à l'origine du titre de mon prochain livre, puis il me faudra partir en quête d'une nouvelle machine à laver. Songer à un modèle avec hublot. Écouter un peu moins les infos. Mettre à distance LES ENCOMBRANTS de la vie !
La caboulotte 15 - J'étais ailleurs. D'abord vers le bassin d'Arcachon à profiter d'un soleil qui n'était pas de saison mais bien pratique pour marcher, pédaler et découvrir marais, plages, océan, cabanes à huitres ... Eprouver de la joie, ce mot que j'utilise si souvent car j'ai parfois peur que nous n'osions plus, sachions plus, pouvions plus l'éprouver. En vacances chez celui que j'appelle mon petit frère même si nos âges très proches et lui bien plus grand et baraqué que moi. Petit-frère depuis toujours qui a tout organisé pour que je sois bien - et c'est un beau cadeau. Puis des rencontres à Tours, Orléans et Bourges avec des élèves de lycées professionnels, agricoles ou d'enseignement générale qui ont étudié Elles sont au service et je dois avouer que leur compréhension du sujet et de la forme de ce livre m'ont agréablement surprise. Des discussions précises et leurs remerciements de m'intéresser à ces "petits métiers" et plus particulièrement dans la classe préparatoire aux métiers du soin à la personne. Se réjouir d'entendre une jeune fille de 16 ans me dire que mon texte lui donne la force de tenir tête aux autres sections (métiers de l'agriculture) qui souvent les méprisent. De la joie donc en ce début d'année, mais à d'autres moments une inquiétude récente qui me saisit quand je dois faire face aux contraintes liées à la pandémie. Quand décisions politiques et sanitaires m'embrouillent le cerveau et que chaque jour, il est si difficile de me maintenir à distance sanitaire des autres, de me masquer le visage, de filtrer ma respiration, de penser à la quatrième injection qui pointe déjà son nez et de souffrir que ceux et celles qui acceptent le vaccin et ceux et celles qui le refusent sont assigné.es à des camps qui ne pourraient plus échanger mais seulement s'affronter. Et de plus en plus souvent, je souffre de n'avoir jamais vu le visage de l'épicier, de la factrice, du coiffeur de mon nouveau territoire, et de tous les élèves et enseignant.es rencontré.es. Depuis deux ans mon univers est composé par une bonne partie de personnes que je serai incapable de reconnaitre dans la rue et dont j'invente le reste du visage à partir des images stockées dans ma mémoire. Des personnes dont je n'ai jamais touché la main, jamais vu le nez, la bouche. Parfois oui, je sens combien cela altère quelque chose en moi. Fortement. Profondément. Et je me dis aussi que les personnes qui n'ont pas de compagnons, compagnes ou d'enfants avec eux, n'ont peut-être pas été prises dans des bras depuis longtemps. Solitude des intouché.es, des intouchables. D'ailleurs moi-même en rentrant de mon périple j'ai passé un temps inhabituellement long à caresser le gros chat de la maison qui m'héberge, à enfoncer ma tête dans son pelage roux. J'ai ri de ma voracité. J'ai ri de chercher du réconfort auprès de mon gros Marcel car c'est son nom. Rire de moi puisqu'il faut bien vivre. Merci à l'Agence Ciclic Centre Val de Loire pour avoir permis et organisé les rencontres avec les lycéens.
La caboulotte 14 - Depuis plus d'un an, je tourne autour de mon désir de coudre, tisser, broder et je me confronte à un empêchement violent. Comme si le résultat devait être immédiatement parfait, sublime et susciter de suite de l'engouement. Comme si le résultat dépendait de mon seul désir. Pourtant avec l'écriture je sais pertinemment qu'il faut tenter, rater, tenter à nouveau, chercher une voie (voix)... bref travailler. Pourquoi en serait-il autrement avec du fil ? Peut-être que mon coup de foudre pour les œuvres de Gunta Stölzl et Anni Albers qui faisaient partie du groupe surnommé Les filles du Bahaus (elles n'avaient pas accès au cours d'architecture ou de peinture) a mis la barre un peu haut. Bravache, j'ai acheté un métier à tisser que j'ai monté consciencieusement (car souvent une étrange frénésie me saisit quand je me lance dans des travaux dits manuels). Trop de désir ? Trop d'émotion ? Mais un métier à tisser prend beaucoup de place et peut-être ai-je vite ressenti que me confronter à des horizontales et des verticales ne me conviendrait pas longtemps. J'ai rangé le métier avec un sacré sentiment de défaite, presque de honte. Il y a quelques semaines, j'ai regardé un formidable documentaire sur la tapisserie de Bayeux (qui est, en fait, une broderie datant du XI ème siècle). Découverte émouvante car si les deux termes accolés de tapisserie et de Bayeux m'étaient familiers, je n'avais aucune idée à quoi elle ressemblait précisément. J'ai regardé ce documentaire plusieurs fois intéressée, concernée. Avec la conviction que je voulais broder, que je pourrais broder (le format correspond mieux à la petitesse de mon habitat actuel et surtout à celui de mon futur fourgon). J'ai rassemblé des fils, des laines, des aiguilles. J'ai acheté du tissu en lin et un tambour. J'ai inséré l'étoffe dans le tambour, avec l'envie de me lancer dans un carnet tout en tissu et en broderies. Mais rien. Le tissu tendu et intact posé sur mon bureau. Impossible d'en faire quoi que ce soit. Ventre noué, gorge sèche, mains nerveuses. Colère contre moi et cette matière morte. Gauche, je suis quelqu'un de gauche, de maladroit et quelques humiliations dans ce sens me sont revenues. Les commentaires du prof de dessin devant toute la classe : Swiatly vous êtes douée pour le caca d'oie (j'avais compris caca de doigt), un prof de technologie qui me donne un zéro convaincu que ce n'est pas moi qui aie fabriqué l'objet demandé : C'est pas vous ça ! Et bien d'autres vexations dans la boite de Pandore de mes empêchements. Alors j'ai regardé une troisième fois le documentaire, avec des arrêts sur image lors de plans rapprochés. Comprenant alors ce qui me plaisait dans cette "tapisserie" exécutée par différentes brodeuses, ce qui me touchait particulièrement, au-delà d'une œuvre parvenue jusqu'à nous après plus de onze siècles, ce sont les endroits où les points sont maladroits, bruts de décoffrage. Les endroits qui révèlent que ce sont des mains humaines qui ont œuvré. Quelque chose s'est défait en moi et j'ai réussi à broder la première page du carnet : Au bord'elles. Carnet de mes désordres, de mes peurs et de mon bordel. Et je me suis dit : Et zut ! Le caca d'oie est une couleur comme une autre. © photo détail tapisserie de Bayeux -- Le documentaire visible ici :
La Caboulotte 13 - Il y a eu le froid vif, puis le vent, puis la neige, le soleil, la fonte de la neige, le verglas, la brume, la neige à nouveau. Temps changeant, humeur changeante. Lumière terne dehors. Je dois me concentrer sur la lecture finale de mon roman qui sort en mars (cette phrase dit exactement ce que je suis en train de faire et pourtant elle me semble prétentieuse). Envie de tout jeter. Je connais bien cette étape. J'en ai souvent parlé. Mais je dois rester concentrée. Je dois faire mon boulot. Je lis, je rature, je me lève, j'arpente le peu d'espace arpentable dans ma caboulotte. Je maudis je ne sais qui, je ne sais quoi avec du vocabulaire grossier. Il est temps d'aller prendre l'air. J'enfile mes croquenots car c'est à cela que ressemble mes vieilles chaussures de marche qui sont dans l'état parfait pour mes pieds : ni trop dures, ni trop avachies. Ce matin j'ai écouté un podcast sur la fachosphère, je n'aurais pas dû, ce matin j'ai écouté Eric Zemmour, je n'aurais pas dû. Heureusement il y a ma magnifique paire de chaussettes vert épinard en laine de mérinos pour me réconcilier avec la vie. J'emporte mon bâton en noisetier et emprunte le chemin habituel dans la forêt du haut. Avec le bâton je fouille les feuilles mortes, il y a quelques jours j'ai trouvé des pieds de mouton et ce serait parfait pour un repas du soir solitaire. Juste avant le chemin des crêtes les ânes m'ont à nouveau surprise. Ils se confondent merveilleusement avec le paysage d'hiver. D'abord je ne vois que les troncs d'arbres. Un simple mouvement d'oreilles et ils apparaissent comme par enchantement. Je les vois. Immobiles et méfiants dans un premier temps, ils me rejoignent dans l'espoir d'un peu de pain dur. Ils me regardent, je les regarde. Pas vraiment besoin les uns des autres mais nécessaires tout de même à nos vies communes. Car nous vivons ensemble dans cet espace géographique et dans cet espace temps. Je pense au petit garçon que je n'ai pas vu depuis longtemps. Il me manque. J'aime les moments, trop rares, que nous passons ensemble. Il m'oblige à voir et à parler du monde différemment. Sans mentir ou surjouer, je dois lui raconter un monde où il est possible de vivre. Lui donner de la force car si l'époque est accablante, tout est possible malgré tout. Quand le petit garçon viendra ici, on donnera des noms aux ânes. Des noms drôles, des noms exotiques, des noms absurdes et des noms francisés ou pas ! Puis on soufflera sur nos doigts engourdis et on les passera dans une des crinières un peu rêches d'un animal à portée de main. Quand, lassés de nous, les ânes retourneront se confondre avec les arbres, le petit garçon et moi, on rentrera boire un truc chaud et manger du sucré. Mais le petit garçon n'est pas là. Peut-être vais-je lui écrire une lettre avec une photo des ânes. Une de ces lettres qui met du temps à s'écrire, à s'envoyer, à rejoindre la boite aux lettres et à se lire. Habiter la distance avec des mots dédiés. Mais pour l'instant je dois retourner à mon texte. Sur mon bureau les pages imprimées et raturées. Il me faudra traquer le creux, le mou, les boursoufflures. En tout cas le titre sur la page de garde me réjouit toujours autant. Saïd. Je suis heureuse de ce titre formé d'un seul prénom d'origine arabe. Tant pis pour les coincé.es du cul et de la mémoire, chaque prénom doit rester le début d'une singulière histoire. Et tant mieux si ça commence par une langue étrangère.
Caboulotte 12 - Dans l'espace restreint de ma demeure ancrée sur un terrain aménagé pour les beaux jours et non pas pour l'hiver, le temps est un événement et une contrainte. La neige qui se met à tomber dans la nuit, c'est d'abord un moment de joie enfantine : il neige ! Puis vient l'inquiétude et enfin la nécessité d'aller garer d'urgence la voiture au plus près de la route sinon c'est prendre le risque d'être bloquée sur le terrain. Oublier les gants, démarrer en trombe, la neige collée aux chaussures se transforme en glace au contact des pédales. Les pieds dérapent, heureusement la voiture démarre au quart de tour et monte sans peine le chemin enneigé. Sur le siège arrière, j'ai déposé, prévoyante, une pelle. La neige c'est aussi les pieds mouillés dès qu'il faut traverser le terrain pour les toilettes, la douche ou le frigo. Puis le plaisir reprend à nouveau le dessus quand bien emmitouflée, je vais marcher dans le blanc immaculé du fameux manteau neigeux. Joie de reconnaitre les traces du lièvre qui vient chaque jour fouiner dans le composte, constater l'existence d'autres traces d'animaux : blaireaux, chiens, loirs ? Des traces de chaussures aussi vers le pré du haut (un chasseur ? un promeneur ?). Puis la nuit vient geler le tout alors il faut faire attention à ne pas glisser. Garder le téléphone portable avec soi en cas de chute. S’enivrer du ciel très sombre piqueté d'étoiles. Briser une des petites stalactites qui courent le long du toit, la suçoter ... et la peau des lèvres y reste collée. Des coups de vent à d'autres moments qui déforment la surface lisse et blanche, puis le redoux et c'est la boue qui vient alourdir les chaussures. Froid sec. Soleil. Je superpose les pulls, ne quitte plus le collant de laine qu'il faudra bien laver à un moment ou à un autre. Heureusement, il fait bon dans la caboulotte même si, un matin, le radiateur électrique n'a plus voulu chauffer. Je m'étais embrouillée dans les multiples possibilités de programmation. Le temps, la météo, le ciel, la température qui enchantent et complexifient le vivre ici, mais comme c'est un choix, il suffit de s'adapter. Ma condition n'a rien avoir avec ceux et celles qui subissent le froid, la neige, la pluie à vivre dehors ou dans des logements précaires. Moi, je vis une aventure personnelle.
Caboulotte 11 - Retour en Drôme après une soirée lecture à la librairie La Virevolte pour les 5 ans des éditions Des Lisières. Froid et brouillard m'accueillent. Je sais que la période hivernale sera rude à vivre ici. Le froid. Les nuits plus longues. La nature moins accueillante. On verra. Mais déjà la brume se lève en début d'après-midi et m'offre d'heureux changements de lumière. Et je pense aux 27 hommes et femmes morts au large de Calais et je me demande : Qu'est-ce qui a fait qu'ils et elles soient sorti.es des brumes de l'indifférence pour réapparaitre ainsi dans les médias et la parole de nos dirigeants ? La loi des chiffres ? Au-delà de 27 quelque chose n'est plus plus imaginable ? Supportable ? Ou parce qu'ils et elles sont devenues enjeux entre deux chefs d’État dressés sur leur égo, qui se toisent par-dessus la Manche devenue terrain de polémique et cimetière encombrant ? Depuis combien de temps déjà, dure cette aventure terrifiante d'hommes et de femmes qui viennent risquer leur vie tout au bout de la France parce que la seule issue possible à leur vie de misère ? Dans un des pires lieux de leur parcours, c'est ce que migrants et migrantes répètent dans leurs témoignages. Depuis combien d'années ? Il y a douze ans, alors que je rencontrais à Calais des associations militantes, elles étaient déjà au bout du rouleau. Usées par toute cette maltraitance, violence et absurdité. Tant à faire avec si peu de moyens. Tant de morts noyés, écrasés, brûlés, tués, disparus. Alors pourquoi ces 27 ont-ils dissipé le brouillard ? La présence d'une femme enceinte et d'une fillette parmi les morts ? 27 d'un coup c'est trop voyant ? Du moins pour l'instant. Car on sait que la brume reviendra, l'anonymat reviendra, la maltraitance reviendra, la bêtise reviendra. Et les hasards de l'actualité viennent m'offrir un contre-champ hasardeux mais dont je ne parviens pas à me défaire. Grâce aux médias, je sais qu'un animal est mieux défendu par la loi que des humains. La mort d'une ourse, tuée par un chasseur imprudent, a enclenché une instruction pour destruction d'espèce en voie de disparition. Tant mieux pour les ours. Mais je ne peux m'empêcher de penser, qu'il vaudrait peut-être mieux pour ceux et celles encore vivantes sur les quais et les plages de Calais être né.es animal, être né.es ours plutôt qu'Afghane ou Afghan plutôt qu’Éthiopien ou Éthiopienne, plutôt que Pakistanaise ou Pakistanais, plutôt que ... Il est tard. J'ai froid. La brume a disparu. La lumière a disparu aussi. Pas encore de lune. Reste la nuit. Je vais me mettre au chaud dans ma caboulotte. Mes pensées et mon corps sont glacés. J'hésite à écrire cette chronique. Bien pensante ? Nécessaire ? Écrire est mon métier. Alors je vais écrire. Malgré.
Caboulotte 10 - Tu n'as pas peur ? Cette question m'est souvent posée sans que l'on me précise de quoi je devrais avoir peur. Ma vraie peur, et j'en ai déjà parlé, était que l'écriture ne soit pas pas au rendez-vous. J'écris. Tout va bien. La solitude me va aussi et elle n'est pas de tous les jours, puisque hier encore j'échangeais avec une cinquantaine de bibliothécaires et enseignant.es à l'Hôtel du département de Privas. La nuit alors ? L'obscurité ? Oui je pourrais en avoir peur et je ne suis pas capable, comme un de mes amis, de dormir seule dehors quand le temps le permet (Pourtant j'aimerais tant y arriver). Ici, il me faut souvent sortir la nuit (pas de toilettes dans ma petite demeure) et à des heures très différentes. Il n'y a aucun éclairage public. La nuit s'apprivoise, je l'ai vite compris. D'abord éteindre la lampe de poche qui rend l’obscurité plus opaque et, étrangement, plus inquiétante. Et, réflexion faite, en cas de danger, on devient follement visible une lampe à la main. Alors j'éteins et mes yeux s'habituent et je finis par mieux distinguer les formes et les différentes couleurs. La nuit offre des bleutés et des grisés très différents. La nuit n'est pas noire. Les nuits de haute et pleine lune, le tronc des pins et des chênes est strié par l'ombre des autres arbres, composant alors un décor presque hallucinant. Quand j'ouvre la porte à ce moment-là, souvent après minuit, il me semble vivre une expérience surnaturelle. Mes yeux voient la nuit. J'apprivoise aussi les bruits et j'ai ainsi découvert que la cloche de l'église sonnait (je n'y avais pas prêté attention jusque-là). La nuit peut m'inquiéter quand un cauchemar traverse mon sommeil et qu'ouvrant les yeux tout me semble inquiétant. Alors ce n'est pas de la nuit dont j'ai peur mais de tout ce qui y est associé : sorcellerie, diablerie, folie humaine. Ce que l'enfance a distillé en moi : ma mère m'abreuvait d'histoires de diables et d'assassins, prenant le relais du pasteur très inspiré aussi. Ce plaisir ravageur des adultes de nous dominer par la peur au lieu de nous prendre par la main et de nous dire : Regarde, écoute la nuit. C'est beau ! Il existe bien sûr des dangers dont il faut apprendre à se protéger, mais malheureusement, ces danger existent aussi le jour, et parfois en des lieux qui devraient nous mettre à l'abri. Les maisons familiales ne sont pas toujours des havres de paix. Alors oui, je m'assoie sur les marches de la caboulotte et je laisse la nuit exister avec moi, puis je retourne sous la couette qui parfois me donne l'impression d'être un ventre moelleux. Je m'endors vite. Je m'endors bien. Demain matin, il fera bon se lever et vivre le jour.
Caboulotte 9 - Subitement un oiseau effrayé tourne autour de moi sans que je parvienne à comprendre à quel moment il est entré. J'aime observer les oiseaux, mais de près j'en ai une vraie phobie. Du coup je sors précipitamment, affolée à mon tour, la porte grande ouverte pour qu'il puisse s'échapper. J'entends le battement rapide de ses ailes puis un bruit sourd. Il a foncé dans une des vitres. Ses quelques grammes de plumes, de chair et d'os n'ont pas supporté le choc. Il gît au sol. Assommé ? Mort ? Comment savoir ? Je l'installe au soleil en espérant qu'il va récupérer. Je le regarde, je le photographie et je me sens triste. On dirait bien qu'il est mort. J'imagine le choc. Il était dans l'énergie de son vol, attiré par l'horizon qui s'ouvrait à nouveau. Enfin il allait échapper à l'enfermement et c'est un mur invisible mais bien tangible qui l'a arrêté net dans son élan. Arrêt sur image. Il aurait pu vivre jusqu'à dix-huit ans. Pour avoir un jour, dans un hôtel, pris une porte vitrée en pleine face, je sais combien le choc est violent car le cerveau se projetait, confiant, quelques mètres plus loin. Il met un moment à comprendre la situation. On est sonné. On est vexé aussi. Conscient du risible de la situation. Pour l'oiseau pas de ridicule puisque tout en lui s'est arrêté. Je voulais lui creuser un trou, lui rendre hommage, mais quelques heures plus tard il a disparu, un tas de plumes ne laisse aucun doute sur la suite. Un autre animal a dû le transformer en repas. C'est aussi bien. Les oiseaux n'ont pas besoin de tombe. Rouge-gorge est le nom de ma caboulotte. C'est aussi ce qui me reste d'une histoire d'amour qui a fini lamentablement. Enferment, affolement, mur invisible, choc et un blaireau pour se repaître des restes. De la mort d'un rouge-gorge j'ai voulu faire un événement et ce n'est que de moi dont il s'agit. Encore une fois.
Caboulotte 8 - Après huit jours d'immersion dans le théâtre de Roanne puis au conservatoire de la même ville (un grand moment de travail et de partage avec mes camarades du projet Refaites) je suis de retour dans mon petit logis. Le paysage a totalement changé, tapis orange et brun au sol, feuillus dénudés et à chaque coup de vent une pluie de feuilles mortes. Subtiles craquements. Il fait frais, soleil vif et terre humide. Les oiseaux chanteurs sont silencieux ou partis ailleurs, reste les plus braillards. Ma gorge se serre autour d'une émotion simple et vitale : Je suis bien ici. Tellement contente d'être là, même si la première nuit fut difficile et qu'il me faut quelques jours pour trouver le bon rythme et me réassurer que oui, ça va écrire. Ouvrir le carnet pour les notes du jour, ouvrir l'ordinateur et travailler sur mon roman Saïd - publication en mars. Relire. Relire encore. Traquer les facilités, traquer les passages paresseux, traquer l'inutile et apprendre à déplier certaines scènes, même si ce texte sera, encore une fois, un court roman. Rêver parfois d'un livre de trois cents pages. D'un vrai livre comme me glissait une parente à qui je venais d'offrir Une Femme allemande. Peut-être le prochain dont le dossier a été nommé : Les Encombrants. Écrire donc. Parfois je m'étonne encore que ma vie soit essentiellement faite de cela : l'écriture. Un autre souvenir s'impose : un copain, après avoir lu mon blog, m'envoya un message lapidaire : Tu te prends pour un écrivain maintenant ? Toujours on se souvient précisément des paroles qui nous font vaciller. Donc je suis une écrivaine qui écrit des textes courts. Quinze années consacrées à cela et sûrement le reste de ma vie. Obstination. Et lire dans Lettres à un jeune auteur de Colum MacCann un passage dont le contenu trivial me sied parfaitement : " Garde ton cul sur la chaise. Ton cul sur la chaise. Ton cul sur la chaise / Et tu la regardes de haut, la page blanche. "
Caboulotte 7 - Parfois l'humeur est bougonne. J'ai tenté dans la nuit d'enregistrer quelque chose de cette humeur, assise dehors dans une lumière irréelle. Ombres des arbres projetées sur les autres arbres, lune qui éclaire fort. Difficile à décrire. Sur l'enregistrement, on entend mes hésitations, les douze coups de minuit sonnés par un lointain clocher, quelques oiseaux nocturnes et mes mots d'une banalité décevante. Énumération de clichés. J’arrête l'enregistreur sur ces derniers mots : J'y arrive pas et puis merde ! On sait parfois se détester avec passion. Je finis par me recoucher en me disant que demain il faudra aller marcher. Levée tôt, café chaud, pain beurre et confiture dont je me réjouis depuis toujours, sans me lasser, sauf quand l'un des ingrédients vient à manquer. Sac à dos, pique-nique, appareil photo, carnet, stylo et Gardienne en terre sauvage de Laetitia Gaudefroy-Colombot, lecture prévue à la libraire La Virevolte le 25 novembre à Lyon, je dois choisir des extraits dans le catalogue, impeccable, des éditions Des Lisières. Je rejoins le parking vers le col de la Chaudière, deux fourgons seulement. Soulagement. Samedi, j'ai dû faire demi-tour - tant de monde et l'insupportable des bavardages, du clic - clic des bâtons de marche et des téléphones qui doivent saisir ce qui n'a pas encore été regardé. Aujourd’hui je suis seule, je peux me faire un film, m'inventer une histoire comme lorsque j'étais enfant. Montée raide pendant une demi-heure puis le paysage qui s'ouvre, au loin, sur la montagne de Couspeau, le massif du Diois, les Écrins ... Tout est brun orangé. 1400 mètres d'altitude. Soleil et fraicheur. Je marche et dilue mon humeur grise dans la force de ce qui m'entoure. La progression est facile, traversée de la forêt de Saou au milieu des hêtres tortueux. Je ramasse un cèpe jaune. Beaucoup les méprise pourtant il est plus que savoureux. Je déverse mon dernier fond de bile contre les cueilleurs, cueilleuses qui ne peuvent s'empêcher de massacrer les champignons non comestibles. Je relève la tête et constate que j'ai faim. Je m'installe sur un replat, vue la vallée du Rhône et donc sur les cheminées de la centrale nucléaire de Cruas. Lumière limpide. Couteau, pain, jambon cru et pommes. Une corneille noire s'installe non loin de moi. Elle observe le paysage en poussant de temps à autre son cri rauque. Surveille-t-elle son territoire ? Est-elle curieuse de ma présence ? Attend-elle mon départ pour picorer des restes ? Impossible à savoir, il me semble seulement que nous partageons sereinement l'espace. Je prends mon temps. Elle aussi. Le déclic de l'appareil photo ne la fait pas fuir. Ses congénères profitent des vents ascendants pour jouer de l’apesanteur. Elle les ignore et me tient compagnie. Je pense au navigateur Bernard Moitessier qui dans son livre La Longue route, raconte son attachement, lors d'une longue traversée en solitaire, à un oiseau curieux qui lui rend régulièrement visite. Mon expérience est nettement moins audacieuse, mais je nous sens camarade en oiseaux. Il est temps de poursuivre. Je me lève, la corneille s'envole. Chacune sa route. Nous sommes en vie. Merci !
Caboulotte 6 - Je suis de retour en Drôme depuis plusieurs jours après une semaine de travail à Lyon. J'ai repris le rythme écriture, marche, lecture, rangement du bois et autres occupations manuelles. Vraiment heureuse de retrouver les lieux et mon espace restreint. Les nuits sont fraiches et j'ai du mal, le matin, à m'extraire du lit. Je fais en sorte de caler le réveil sur le lever du jour. C'est le matin que j'écris le plus efficacement alors je ne dois pas gâcher ce moment de la journée. Derniers campeurs sur le terrain, à partir de jeudi, je serai seule. Je trie quelques affaires rangées sous le châssis et trouve de grands et beaux ciseaux, parfaits pour mener à bien mes projets de couture ou plutôt de broderie (Coudre des Jours est un carnet que j'ai envie de réouvrir.) Ces ciseaux sont très rouillés alors je prends le temps de les démonter, de les passer au papier de verre puis de les aiguiser après avoir consulté plusieurs tutoriels, pas toujours d'accord entre eux - forcément. J'applique une des techniques et le résultat n'est pas trop mal. Je revisse ensemble les deux parties et range les ciseaux dans un des nombreux sacs en jute achetés pour mon déménagement. Trente au total avec comme défi : faire entrer toutes mes affaires personnelles dans ces seuls et uniques sacs. Pari non tenu mais je m'en approche. Ce sont des sacs solides qui se plient et se rangent facilement. Ils servent un peu à tout : sacs de voyage, sacs de rangement, sacs de courses. J'ai pu ainsi me séparer des affreux sacs de la grande distribution. Mon projet est de les broder tous (les journées et surtout les nuits seront longues cet hiver). Coudre, broder, il me faut effectivement de bons ciseaux. Cette année, puis les prochaines années en fourgon, je vais devoir apprendre réparer mes ustensiles, voire me fabriquer des petits équipements. Dans ce sens, devant la caboulotte attend une planche que j'ai découpée (grossièrement) poncée et vernies. Maintenant il va falloir la poser : percer les trous de fixation, aligner les équerres, visser ... et surtout rester calme. Je sais qu'un geste manuel est un geste pensé mais depuis toujours, parce que honteuse de mes mains maladroites, je prépare mal mon travail, je me précipite, je n'anticipe rien et finis par implorer les dieux du bricolage parce que je fais n'importe quoi. Alors, forcément, le résultat est décevant. Quelques jours déjà que la planche m'attend. Quand je serai seule (loin de tout regard), je me lancerai dans l'accrochage de mon étagère. Envieuse de ceux et de celles qui savent bricoler, pour qui cela semble si simple. Attendre,oui, mais combien de temps ?
Caboulotte 5 - Qu'est-ce que tu fais là ? Plusieurs fois j'ai entendu cette réflexion de la part de connaissances qui m'ont croisée cette semaine à Lyon où je suis venue travailler. A chaque fois, j'ai ressenti un sentiment de culpabilité, d'être prise en défaut. Et il est vrai que j'ai quitté ma solitude avec regret. Il m'a fallu un peu de temps pour retrouver le bon rythme et la bonne implication dans les projets en cours : l'écriture collective d'un recueil avec les soignants d'un centre médico-psychologique et une résidence de théâtre dans un IME. Être là avec elles, avec eux. Ce séjour en ville me permet aussi de peser l'impact des choix que j'ai fait ces derniers mois. Vivre dans un espace restreint et me délester d'un maximum d'objets a généré beaucoup de temps libre. Plus d'objets, donc plus besoin de les ranger, de les nettoyer, de les stocker, de pousser les murs pour leur faire de la place. Désencombrée. Et ce temps libéré, si souvent désiré quand la maison était grande, quand les enfants étaient petits, quand l'agenda était tyrannique, à quoi le consacrer maintenant ? Le risque était de ressentir un grand vide. Heureusement ce n'est pas le cas et je mesure toute l'importance de mes projets d'écriture. J'apprends également la lenteur. J'apprends à être là car souvent j'ai eu le sentiment de vivre dans l'attente du jour d'après, celui qui serait, justement, celui du temps enfin libéré. Revenir à Lyon, c'est reprendre le rythme d'avant, ce qui n'est pas forcément désagréable. C'est autre chose. Une autre façon de se tenir au monde. Vendredi je retourne dans mes 8 mètres carrés, en attendant, à la question de Qu'est-ce que tu fais là ? Il me semble étrangement ne pouvoir que répondre : Je suis. Voilà je suis... ©photo - variation autour d'Un enfant assorti à ma robe. 5 octobre 2021